Plus de 48 ans après sa mort, Marilyn Monroe continue de nous fasciner. Dans un livre exceptionnel qui paraît aujourd'hui, les fans ont pour la première fois un accès privilégié à l'intimité de la star. Fragments rassemble les textes inédits de Marilyn Monroe, écrits entre 1943 et 1962, dans lesquels on découvre une autre Marilyn. Mélancolique, lucide, avide d'apprendre et sans aucune illusion sur elle-même et sur le monde. Entrevue avec Bernard Comment, qui a eu l'insigne honneur d'éditer ces documents rares et précieux.

«J'ai été très ému de voir ces papiers et cette émotion incroyable, les gens doivent l'éprouver», confie au bout du fil Bernard Comment, éditeur au Seuil. Voilà ce qui explique la forme particulière de Fragments, dans lequel tous les textes de Marilyn Monroe sont reproduits en fac-similés. La matérialité graphique de ces écrits donne effectivement une dimension émotive à la découverte.

C'est le hasard qui a voulu que Bernard Comment tombe sur ces documents exceptionnels, qui font l'envie de tous les éditeurs. Un ami de la famille Strasberg - qui détient les droits de la succession de Marilyn Monroe - voulait l'avis d'un éditeur sur ces papiers inédits. Bernard Comment s'est donc retrouvé à New York, en compagnie d'Anna Strasberg, veuve de Lee Strasberg qui a été le professeur de l'actrice légendaire.

«J'avais un énorme handicap: étant un éditeur très littéraire, je n'avais pas beaucoup d'argent à proposer, c'est la première chose que je lui ai dite. En fait, cela a été mon meilleur atout, car c'est exactement ce qu'elle avait envie d'entendre. Elle ne voulait pas faire ce livre pour gagner de l'argent, mais parce qu'elle avait l'impression de détenir un trésor. Elle voulait quelque chose de soigné et de respectueux.»

Et quelque chose d'incarné. Ici, Marilyn ne passe pas une fois de plus par l'interprétation de quelqu'un d'autre. Elle est l'auteure de ce livre, c'était l'un des objectifs de l'éditeur. «Ce n'est pas un journal intime, avec le côté un peu artificiel quand on écrit pour être lu. Là, ce sont des écrits bruts, ses états d'âme. C'est très rare que quelqu'un nous laisse des traces comme ça. Je trouve que ce livre révèle une âme et, surtout, une belle âme.»

Le choix des photos illustrant Fragments respecte cette idée d'aller au-delà de l'éternelle image de la belle blonde pulpeuse, le plus célèbre sexe-symbole du XXe siècle. Ce désir de s'affranchir des studios hollywoodiens, de se cultiver, de perfectionner son jeu plutôt que de rester confinée à cette image de rêve était accueilli avec beaucoup de scepticisme ou d'ironie à l'époque, comme s'il y avait quelque chose de choquant à ce qu'une femme aussi belle ne se contente pas tout simplement de ce que la nature lui avait donné. Pas de Marilyn en bikini dans ce livre, mais en compagnie d'écrivains, ou alors qui tient un livre à la main. Ses lectures allaient de Flaubert à Kerouac, en passant par Camus, Beckett et Joyce. Pendant sa recherche, Bernard Comment a été étonné du souci de la star de vouloir se faire photographier avec les livres.

«Ce n'est pas du chiqué, note l'éditeur. De son vivant, elle voulait échapper aux clichés qui étaient donnés sur elle. Pas qu'ils soient inexistants, c'est Marilyn Monroe, elle était époustouflante! Mais elle voulait affirmer autre chose. Ce livre est la confirmation et l'affirmation de cette autre chose qui ne contredit en rien la magnifique icône qu'elle est et qu'elle reste.»

Fragments est un titre qui résume bien le projet de ce livre. Marilyn ne tenait pas régulièrement un journal, elle écrivait sur des feuilles volantes, dans des agendas qu'elle ne terminait pas, sur le papier à lettre du Waldorf-Astoria. Probablement dans un trop-plein passager, donc dans une franchise. Des poèmes, des pensées, des notes à elle-même... «Ce n'est pas une intellectuelle ni un écrivain, note Bernard Comment. Mais je pense que la littérature était un peu le territoire où elle comblait ses manques. C'était un territoire solide par rapport à cette vie sur des sables mouvants.»

La face cachée de l'astre

On n'en finit plus de vouloir déshabiller Marilyn Monroe et ce livre pourrait être une indécence de plus, s'il n'était un travail honnête visant à dévoiler l'autre facette de la star, plus sombre et plus sincère, qu'elle-même n'arrivait pas à imposer tellement son image faisait écran.

«Ça a été mon obsession du début à la fin, d'être totalement respectueux de cette femme, confie Bernard Comment. Si j'ai décidé de faire ce livre, c'est parce que j'avais l'intime conviction qu'elle sortait grandie de cette publication. Parce qu'il y a une autre dimension de sa personnalité qui apparaissait. L'imaginaire produit par la machine hollywoodienne, c'est la blonde un peu nunuche, facile et sexy. Il y a autre chose chez Marilyn Monroe.»

La face cachée de l'astre, en somme. Une quête d'amour, certes, mais un regard lucide sur les hommes et le couple, sur l'incapacité de rejoindre l'autre vraiment. On y apprend que l'échec de son premier mariage venait de la trahison de son mari, et non le contraire. Une immense exigence envers elle-même qui parfois la tétanisait dans son travail. Des peurs innombrables et, oui, des inquiétudes d'ordre esthétique, comme toutes les femmes. Une grande solitude - ça, on s'en doutait. Un épisode pénible d'internement contre sa volonté, dans une lettre poignante envoyée aux Strasberg pour la délivrer, mais qui ne pouvaient rien faire, n'étant pas de la famille. Heureuse intervention de son ex-mari Joe DiMaggio qui a peut-être empêché que Marilyn ne connaisse un sort semblable à celui de Frances Farmer.

C'est fou à quel point, dans ce monde, on veut enfermer les blondes, dans les clichés comme dans les hôpitaux... Avec ce livre, la légende prend une profondeur insoupçonnée.

Quelques extraits

«Pour quelqu'un comme moi, c'est une erreur de pratiquer l'auto-analyse - je le fais déjà assez dans mes pensées en général / Ce n'est pas si drôle de se connaître trop bien ou de penser qu'on se connaît - chacun a besoin d'un peu de vanité pour surmonter ses échecs.» (1943)

«Peur de me donner les nouvelles répliques / Je ne serai peut-être pas capable de les apprendre, je ferai peut-être des erreurs / Les gens vont penser que je ne suis pas bonne, ou rire et me rabaisser, ou encore penser que je ne sais pas jouer / Les femmes ont l'air sévère et critique - inamicales et froides en général / Crainte que le réalisateur pense que je ne vaux rien.» (1950)

«C'est bien mieux de connaître la réalité ou les choses telles qu'elles sont que de ne pas savoir / C'est mieux d'avoir le moins d'illusions possible.»

«Plus jamais une petite fille seule et terrorisée / Souviens-toi que tu peux être assise au sommet du monde (on ne dirait pas) / Souviens-toi qu'il n'y a rien dont tu sois dépourvue - rien dont tu aurais à prendre conscience toi-même - tu as tout sauf la discipline et la technique que tu apprends et que tu cherches si bien toute seule / Après tout rien ne t'a été ou ne t'est donné - rien de ce que tu as eu dans ton travail ne t'est tombé tout cuit dans le bec / Tu l'as cherché, cela ne t'a pas cherché.» (1955)

«Je trouve que la sincérité et être simple et directe comme (possiblement) j'aimerais est souvent pris pour de la pure stupidité, mais puisqu'on n'est pas dans un monde sincère, il est très probable qu'être sincère est stupide.» (1955)

«Je pense que j'ai toujours été profondément effrayée à l'idée d'être la femme de quelqu'un car j'ai appris de la vie qu'on ne peut aimer l'autre / Jamais, vraiment.» (1956)

«Je cherche une façon de jouer ce rôle, ma vie entière me déprime depuis toujours - comment puis-je incarner une fille aussi gaie, juvénile et pleine d'espoirs - je me sers de ce dimanche de mes 14 ans où j'étais tout cela - pourquoi ne puis-je m'en servir de façon plus ferme, ma concentration vacille presque sans arrêt - quelque chose s'emballe en moi dans la direction opposée vers la plupart des jours dont je peux me souvenir.»

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Fragments. Poèmes, écrits intimes, lettres. Marilyn Monroe. Seuil, 267 pages.

Photo: tirée du livre

Marilyn Monroe avec Carson McCullers.