Marie Laberge est de retour avec Revenir de loin, son dixième roman en vingt ans, qui arrive trois ans après Sans rien ni personne et qui chevauche la publication de son roman épistolaire Martha. Elle parle de son nouveau bébé avec sa ferveur habituelle, passionnément, parce que la vie est trop courte pour la vivre à moitié.

«Je vais avoir 60 ans dans un mois et je n'aurais jamais pensé qu'à cet âge, je serais encore aussi intensément jeune.» À 20 ans, Marie Laberge se projetait davantage dans la lenteur, et non dans cette énergie communicatrice qui se dégage toujours d'elle. «Je suis branchée très près de la génératrice», constate la vibrante auteure.

Elle voit bien qu'il lui a fallu du temps pour parcourir tout ce chemin: en comptant ses années d'écriture théâtrale, Marie Laberge est dans le paysage littéraire depuis maintenant 35 ans. Un parcours sans concession, marqué par une relation intime et passionnée avec les lecteurs: sa Trilogie du bonheur, parue au début des années 2000, s'est vendue à 500 000 exemplaires, et chacun de ses romans est accueilli avec enthousiasme - une chance qu'elle savoure comme au premier jour.

Dans Revenir de loin, elle creuse encore les thèmes de l'affranchissement, de la passion, du deuil, de la mémoire. On ne se refait pas, admet-elle. «Je crois que les auteurs sont faits de deux ou trois obesessions. L'idée est ensuite de varier la musique, la rythmique.»

Cette fois, le personnage principal, Yolande, souffre d'amnésie après avoir été plongé dans le coma lors d'un accident d'auto. Une fois remise sur pied, elle part sur les traces d'un passé qu'elle avait pourtant tout fait pour enfouir. «Le coma, c'est le non-être tout en étant vivant, dit Marie Laberge. J'ai vu dans cet état beaucoup de possibilités dramatiques qui m'ont fascinée. Surtout pour quelqu'un comme moi, pour qui tout passe par les émotions. «

C'est que depuis son réveil, Yolande ne ressent plus rien et regarde tout froidement: les indices de son ancienne vie comme les attentes de ceux qui l'entourent. Mais elle n'aura pas le choix de plonger, d'aller à la rencontre de son passé... et de faire la paix avec celui-ci. «Pour trouver la paix, il faut affronter nos émotions, croit Marie Laberge. Après, on devient plus tolérant, et on peut pardonner.» Mais il n'est pas donné à tout le monde de tomber dans le coma pour faire le ménage dans sa vie... «C'est vrai, mais il y a plein de situations qui nous permettent de nous rechoisir, répond-elle. Vivre n'est pas facile, c'est violent et intense, mais la vie est trop courte pour la passer à être ce qu'on n'est pas.»

D'ailleurs, souligne l'auteure, il n'y a pas que Yolande qui revienne de loin. Les autres personnages principaux parcourent un long chemin au cours des 600 pages du roman. «Je n'avais pas prévu ça, mais il y a énormément de fils pris ensemble par un courant unique, celui de la vérité et de la vie.» Elle s'arrête, réfléchit à ce qu'elle vient de dire... «Ce n'est pas pour rien que ces deux mots se ressemblent, ajoute-t-elle. Quand on empile les mensonges, on ne peut pas rire clair.»

Lorsqu'elle a commencé à écrire ce roman il y a quatre ans, il n'y avait que Yolande dans son lit d'hôpital. Quelle serait son histoire? La romancière n'en savait rien. «Je ne savais pas quel serait son abîme.» Puis elle a eu des éblouissements en cours d'écriture, une vision de ce que son passé pourrait être - et elle a eu peur, comme Yolande, d'y aller. «Mais il ne faut pas trop en dire, n'est-ce pas? «, s'inquiète-t-elle vers la fin de l'entrevue: le livre est tout de même bâti sur cette quête, et vendre ses principaux punchs, aussi durs soient-ils, gâcheraient assurément le plaisir de la lecture.

Marie Laberge préfère parler de Steve, le bum que rencontre Yolande à l'hôpital. «Je ne savais pas s'il sortirait de l'hôpital lui aussi. Mais ce personnage me faisait trop rire...» Sa gouaille d'enfant négligé qui a tout vu traverse le roman et sa présence devient essentielle dans la vie de Yolande. C'est leur profonde amitié, cet amour inconditionnel qui les lie, qui les aidera tous deux à voir la lumière.

La poésie aussi est présente d'un bout à l'autre du roman, et ça, Marie Laberge l'avait décidé dès le début. «Les poèmes permettent à Yolande de retrouver des lambeaux de sa mémoire émotive, parce qu'ils ont accompagné ses états d'âme.» Des bouts de texte parsèment le récit, des poèmes de Ronsard, Aragon, Rilke, Saint-Denys Garneau, qui font partie de la vie de l'auteure depuis longtemps: elle a été initiée très jeune à la poésie par une prof de... ballet. Elle récite un vers de Lamartine: «''Ô temps! suspends ton vol/Et vous, heures propices/Suspendez votre cours/Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours!'' À 12 ans, je faisais de la nostalgie préventive! Ça exaltait déjà ma passion...»

Revenir de loin

Marie Laberge

Boréal, 600 pages

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Des nouvelles de Martha

En janvier, Marie Laberge commencera la troisième et dernière année de la publication de son roman épistolaire Martha. Depuis deux ans, environ 40000 abonnés (un peu plus la première année, un peu moins la deuxième) ont reçu, toutes les deux semaines, une lettre dans laquelle Martha donne de ses nouvelles, raconte sa vie, celle de ses enfants, ses amis. «C'est une femme humble et modeste qui a gagné en lucidité depuis deux ans, explique l'auteure. Elle prend les autres à témoin et nourrit un dialogue.» De plus, selon que son correspondant est un homme ou une femme, les missives diffèrent.

Lorsque Marie Laberge mettra un point final à cette aventure, en décembre 2011, elle aura écrit l'équivalent de deux romans de 400 pages. A-t-elle l'intention de publier le tout? Pas vraiment, même si elle n'ose pas dire «jamais». «C'est fait pour être adressé à quelqu'un, je ne vois pas comment je pourrais tourner ça dans un livre. Et puis, j'aime bien que ce soit une pièce unique.»

Il est possible d'ici janvier de s'abonner, et ceux qui veulent se rattraper peuvent aussi recevoir les deux premières années en quatre envois différents.

Pour infos: marielaberge.com