Pour leurs seconds titres chez Leméac, Mathyas Lefebure et Tassia Trifiatis ont tous deux choisi des personnages de grands-mères excentriques sur fond de folie ou de démence.

Elles ne sont pas banales, les grands-mères que racontent Mathyas Lefebure et Tassia Trifiatis. Bien loin de celles des contes de fées, «avec une longue jupe et une recette de sucre à la crème en permanence à côté du chaudron», comme l'écrit Trifiatis.

Celle de Joseffa, sa narratrice, est petite, rousse, maigre et porte des pantalons. «Trop dépassée par ses propres sentiments pour imposer l'image d'une grand-mère protectrice. (...) Elle pleurait avant moi non pas pour s'accaparer ma douleur, mais pour se faire consoler la première.»

Celle du Grand livre des fous de Lefebure est carrément en rupture avec sa société et ses enfants, refuse de vieillir ou de se faire appeler grand-maman. Ce sera Philomène, pour ses petits-enfants comme pour les fous qu'elle héberge chez elle, aux beaux jours de la désinstitutionnalisation, dans sa grande maison d'un village québécois.

Mère-grand

Au rythme des visites dominicales que Joseffa rend à sa grand-mère, le chemin vers la démence de Mère-grand est ponctué par le calendrier liturgique: du premier dimanche du temps ordinaire jusqu'à son dernier Noël. La jeune femme avait commencé par s'inquiéter de la disparition des mots de sa grand-mère, les mots des vieux. «Seigneur! Y m'as-tu assez étrivé avec c'te sirop-là, lui, rien qu'un peu...»

Des souvenirs d'enfance refont surface alors qu'elle l'accompagne d'un déménagement à l'autre, dans des espaces toujours plus petits, «haltes-garderies pour vieux» ou «tout-inclus dans l'exotisme de l'Avant-Mort». Par un jeu de miroirs, la narratrice relie des lieux géographiques ou symboliques, le Lac de Tibériade biblique et celui des Laurentides, où sa grand-mère passait ses étés.

Sur les soins aux aînés, elle pose un regard cinglant, féroce. S'y emmêlent la culpabilité et la tendresse, la révolte et l'agacement face à la disparition progressive de la mémoire de la vieille dame. Il y a de très belles phrases dans Mère-grand, à commencer par celle que la maison d'édition a imprimée sur les signets promotionnels: «...la mémoire de ma grand-mère était une poupée russe à laquelle il manquait quelques demoiselles.» Mais question de goût ou d'humeur, le lyrisme appuyé nous a parfois détournés du propos.

Le grand livre des fous

La cohabitation des ex-psychiatrisés et de la «Normalité», un sujet qu'aborde par la bande Marie-Renée Lavoie dans La petite et le vieux (XYZ), est au centre du second ouvrage de Mathyas Lefebure, après D'où viens-tu, berger?, dans lequel l'ex-publicitaire faisait le récit de son apprentissage du métier de pâtre, qu'il exerce toujours aujourd'hui.

Sur son lit de mort, une grand-mère anarchiste presse son petit-fils de «conter ses fous». Trois voix se relaieront pour raconter: le petit-fils, enfant en classe spéciale, dont l'imaginaire débordant teinte la vie quotidienne; son cousin adolescent qui narre sa recherche poétique sous l'effet du LSD (délire hallucinogène très réaliste mais un peu longuet); et la grand-mère elle-même, gardienne des pilules et du passé réel ou fantasmé de ses pensionnaires. Elle trouve dans ses nouvelles responsabilités une façon de se distinguer d'un village qui craint toujours autant les curés que les ragots de salon de coiffure. Elle s'en glorifie, même, pleine de rage d'avoir sacrifié sa jeunesse pour porter des enfants ingrats qui n'ont rien fait de mieux que lui déchirer la chair.

Philomène décide qu'elle connaîtra le grand amour, sans voir le gigolo dans son beau «Lapino» rencontré par les petites annonces. Lorsque La nef des fous s'enflamme - le tableau de Jérôme Bosch en couverture prend tout son sens - on ne sait plus trop où loge la folie. Le brasier révèle la grande détresse ordinaire, pareille à celle qu'on croise tous les jours dans les rues du centre-ville.

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Mère-grand. Tassia Trifiatis. Leméac, 134 pages.

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Le grand livre des fous. Mathyas Lefebure. Leméac, 167 pages.