Cinq ans après le puissant Lunar Park, le bad boy des lettres américaines est de retour avec Suite(s) impériale(s), dans lequel il revisite les adolescents blasés de Moins que zéro, ce premier roman qui l'a révélé comme l'un des grands écrivains de sa génération. Que sont devenus Clay, Julian et Blair? Dans l'univers de Bret Easton Ellis, on ne s'améliore pas avec le temps. Mais dans la vraie vie, si.

Par un audacieux tour de passe-passe narratif typique de Bret Easton Ellis, Suite(s) impériale(s) commence avec un Clay quarantenaire qui soutient que Moins que zéro aurait été écrit par une connaissance de son entourage et non par lui. Que le roman aurait conduit à un très mauvais film - et, de fait, Moins que zéro a donné en 1987 un film médiocre, qui, dans les années 80 antidrogue de Reagan, ressemblait plus à une illustration moralisatrice pour terroriser les jeunes qu'à une véritable adaptation du roman, description froide de l'aliénation d'une jeunesse dorée et paumée à la fois.

Pourquoi Clay est-il privé de la paternité de Moins que zéro? «Je pensais à ce que Clay est aujourd'hui, un homme dans la quarantaine, un scénariste qui connaît le succès, explique Bret Easton Ellis, joint par téléphone dans son hôtel parisien alors qu'il participait au festival America. De ce roman, il dirait non, ce n'était pas moi, quelqu'un d'autre a écrit sur moi et a peint un faux portrait, je suis une bien meilleure personne que ça. Les gens narcissiques ont tendance à rejeter le blâme sur les autres. Et, bien sûr, le Clay de Suite(s) impériale(s) prouve que l'écrivain de Moins que zéro a été plutôt gentil avec lui. Parce que le Clay de Suite(s) impériale(s), c'est le diable.»

Ce «nouveau» Clay est effectivement pathétique. Il n'aime rien de mieux que d'utiliser son influence à Hollywood pour soutirer des jeunes femmes en quête de célébrité tout ce dont il désire. Il devient obsédé par l'une d'elles, Rain, qui l'entraîne dans un engrenage infernal. De jalousie, de jeux de pouvoir, de drogues, et de disparitions. Dans Moins que zéro, le jeune Clay était tourmenté par une pub de L.A. où l'on pouvait lire «Disparaître ici». Dans Suite(s) impériale(s), les gens disparaissent vraiment, et réapparaissent dans des «snuff» - vidéos illégales de torture et de meurtre. Étrange cinéma.

On se demande alors si la peur de disparaître est un moteur d'écriture pour Ellis. «Non. J'écris vraiment parce que je souffre et que je me sens mal à propos de quelque chose. Quelque chose me rend fou. L'amour qui n'est pas réciproque, boum, m'a fait écrire Les lois de l'attraction. L'aliénation de mon adolescence, boum, j'ai écrit Moins que zéro. L'aliénation et la douleur d'être un jeune homme à Manhattan qui tente de se conformer à cette société de consommation que je trouvais dégoûtante et à laquelle je tentais pourtant de m'adapter parce que je croyais que cela allait me rendre heureux, boum, cela a donné American Psycho.»

«C'est comme cela que cela a évolué, Glamorama sur la douleur et les enjeux de la célébrité, Lunar Park sur mon père. Chaque livre naît d'un lieu personnel, et je les écrit pour me soulager de ma douleur, pour l'exorciser.»

Selon Bret Easton Ellis, le style de chacun de ses romans et un reflet de son personnage principal - tous des narrateurs masculins qui se définissent par une chose: la solitude. Dans Suite(s) impériale(s), Clay estime que «la tristesse est partout», que «tout le monde ment», et se dit incapable d'amour, parce qu'il a peur des gens. C'est probablement le personnage le plus triste de tous les personnages créés par Ellis. «Oui. Il l'est. Définitivement. Sans aucun doute. Et je pense que je l'ai créé dans la partie la plus triste de ma vie. Bien sûr que c'est un roman, ce n'est pas la réalité, ma vie est différente de celle de Clay, mais oui, je suis d'accord avec vous, c'est le plus triste.»

Le rêve américain qui ne sauve rien

Bret Easton Ellis ne s'explique pas la popularité dont il est l'objet en France, alors qu'il est bien plus critiqué aux États-Unis. Disons que ce n'est pas la première fois que les Français défendent un écrivain américain avant ses compatriotes. «Je crois qu'ils aiment les outsiders de la littérature, les mauvais garçons», avance Ellis. Aux États-Unis, ses romans ont plutôt fait scandale, particulièrement American Psycho, dont on a dénoncé la violence. Les sujets d'Ellis ont souvent éclipsé son travail d'écrivain, mais il soutient que cela ne le dérange pas.

«Quand je me suis installé à Los Angeles, et que les gens apprenaient qui j'étais, ils me disaient que Moins que zéro était la raison pour laquelle ils s'étaient installés à L.A.! Pendant un bon bout de temps, j'ai rencontré des gars qui voulaient me montrer sur leurs cellulaires des photos d'eux déguisés en Patrick Bateman d'American Psycho en trouvant ça cool. Les gens lisent les livres comme ils veulent les lire, et je n'ai pas de contrôle là-dessus... Et c'est O.K.»

Vit-il le rêve ou le cauchemar américain? «Le cauchemar américain, c'est être pauvre, avoir de la difficulté à se nourrir, soi et sa famille, vivre dans la rue, dans la peur, sans emploi. Non, non, non. Je ne vis aucunement le cauchemar américain. Dans un certain sens, je vis le rêve américain. Le problème, c'est que malgré ce rêve américain, vous demeurez une personne, vous avez toujours vos souffrances, vos problèmes, vos pensées, et de vivre le rêve américain ne veut pas dire que vous êtes heureux, ni que vous êtes une personne stable, cela ne veut pas dire que les choses sont fixes. Je suis bien plus conscient qu'avant de ma chance, et combien j'ai laissé se dérouler beaucoup de drames dans ma tête.»

Sept romans, tous fulgurants, en 25 ans d'écriture. Qu'a-t-il appris de son métier? «Rien. Absolument rien. Enfin, j'ai appris à me fier à mes instincts et à ne pas écouter les autres. Je ne sais pas. Je ne crois pas que je voulais apprendre à propos de l'écriture, mais à propos de moi. Je pense qu'il y a une chose que j'ai apprise, et c'est probablement la plus importante, c'est de laisser aller. Laisser aller... Laisser aller... Le monde n'est pas un endroit terrible, ni en endroit merveilleux, c'est juste un endroit. Ce n'est pas comment le monde nous traite qui compte, mais comment nous réagissons au monde. Certains le voient en noir, d'autres en rose. Il faut être neutre. Les faits parlent d'eux-mêmes. Il ne faut pas juger.»

Suite(s) impériale(s)

Bret Easton Ellis Traduit par Pierre Guglielmina Robert Laffont. 234 pages, 29,95$ En librairie le 14 octobre