L'écrivain Ken Follett n'a jamais eu peur d'écrire de gros livres. Mais il bat ses propres records avec sa fresque baptisée Le siècle, dont le premier tome de 1008 pages, La chute des géants, sera en librairie mardi.

La chute des géants met en scène pas moins de 124 personnages (dont 22 sont des personnages historiques authentiques). En tout, cinq familles -américaine, russe, allemande, anglaise et galloise- vont vivre la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique et la transformation des rapports de classe. Le célèbre auteur des Piliers de la Terre a bien voulu répondre à nos questions à ce propos.

Q La Presse: À la lecture de La chute des géants, on réalise qu'on sait relativement peu de chose de la Première Guerre mondiale, alors que nous sommes au fait de bien des choses concernant la Seconde Guerre mondiale. Est-ce pour cela que cette période, presque aussi dépaysante que le Moyen Âge, vous intéressait?

R Ken Follett: Je pense que beaucoup de gens font le même constat que vous. Nous ne comprenons pas vraiment pourquoi cette guerre mondiale a eu lieu, nous ne voyons pas vraiment dans quel dessein nous combattions. Aucun des pays en cause - l'Autriche, la Serbie, la Russie, l'Allemagne, la France et l'Angleterre - ne voulait la guerre, et pourtant chaque dirigeant de ces pays a fait un petit pas vers le conflit. C'est l'accumulation de tous ces petits pas qui a déclenché la guerre.

Q Une bonne partie de vos romans portent plutôt sur les années 40 et la Seconde Guerre mondiale (L'arme à l'oeil, Le vol du frelon, Le réseau Corneille, La nuit de tous les dangers...) que sur la Première, pourquoi?

R C'est vrai, j'ai toujours été plus intéressé par la Seconde Guerre mondiale. Cela demeure, à mon avis, le plus grand moment dramatique qui soit dans l'histoire du monde. Et c'est pour cela qu'il inspire tant de romanciers. Mais je voulais vérifier si les racines de la Seconde se trouvaient dans la Première. Beaucoup de gens pensent que le traité de Versailles (NDLR: traité de paix entre l'Allemagne et les Alliés signé en 1919) préparait la Seconde Guerre parce qu'il était très humiliant et lourd financièrement pour les Allemands. Je n'en suis pas si sûr. L'Allemagne était plutôt prospère pendant les années 20. Elle est demeurée prospère jusqu'en 1929, au moment du krach de Wall Street (NDLR: dont traitera le second tome du Siècle en 2012, le troisième, prévu pour 2014, portant plutôt sur la guerre froide). Ce qui a miné la démocratie allemande, c'est la Dépression et non la Première Guerre, à mon avis. Hélas, quand vous étudiez toute cette période, aucune explication simple ne tient le coup!

Q Dans tous vos livres, il y a toujours un homme bon. Dans Les piliers..., c'était Tom le bâtisseur. Dans La chute des géants, c'est le Gallois Billy Williams, qu'on suit à partir de 1911, quand il commence à travailler dans une mine à l'âge de 13 ans, jusqu'en 1924.

R Ce sont des personnages qui refusent d'être cyniques. Qui sont nés sans atout, mais qui s'élèvent au-dessus des circonstances. Je crois que, en tant que lecteur, vous voulez que ce genre de personnage réussisse, même si vous n'êtes pas vous-même une bonne personne (rires). Vous espérez en secret que nous vivons bel et bien dans un monde où il est possible qu'un tel personnage tienne le coup. Et ça arrive: dans La chute, on voit des personnages féminins être élus au Parlement britannique et il y a effectivement eu huit femmes du Parti travailliste qui ont été élues en 1924. C'est pour le lecteur que ces personnages existent, pour qu'il puisse s'y projeter. Cela fait partie, à mon sens, de l'art de raconter une histoire.

Q Vous avez dédié La chute des géants à vos parents. Est-ce qu'ils ressemblaient à Da et Mam Williams, les parents de Billy?

R Pas vraiment, hormis pour ce qui est de l'importance de la religion dans le quotidien. Mais la famille Williams a aussi des convictions politiques, ce n'était pas le cas de la mienne. Ce qui vient de mon enfance, c'est la façon dont Bill Williams argumente avec son père à propos de la religion. Ça, c'est directement tiré de mon enfance. J'ai dédié ce livre à mes parents parce que j'ai réalisé que tout ce que j'ai fait, tous mes livres me viennent d'eux. Leur génération et celle de mes grands-parents ont créé le XXe siècle. En écrivant La chute des géants, j'écrivais aussi à propos d'eux, qui ont fait le monde dans lequel nous vivons... et qui n'est pas si mal, quand on y pense.

Q Vous avez été journaliste à une époque, est-ce ce qui explique en partie votre style d'écriture?

R Être journaliste m'a permis, pendant cinq ans, d'écrire tous les jours. Franchement, je n'ai jamais trouvé difficile d'écrire, mais je suis devenu beaucoup plus «fluide» grâce à ce métier. Par ailleurs, comme journaliste, vous devez être le plus limpide possible: il ne faut jamais écrire une phrase que le lecteur doit lire deux fois pour comprendre. Et j'applique encore ce principe: j'essaie de ne pas écrire de phrases que les gens doivent relire pour saisir ce que je veux dire. Mais sincèrement, bien avant d'être journaliste, le grand amour de ma vie, c'était la fiction. Mes aptitudes à écrire de la fiction viennent surtout d'avoir été un jeune garçon, puis un jeune homme qui lisait beaucoup et toujours. Et qui lit encore beaucoup. Je pense que c'est comme ça qu'on apprend à écrire: en lisant.

La chute des géants, tome 1 de la série Le siècle

Ken Follett

Éditions Robert Laffont, 1008 pages, 34,95$ Sortie mondiale mardi