Un second roman politique pour Gil Courtemanche, après l'immense succès d'Un dimanche à la piscine à Kigali? Aux yeux de l'auteur, Le monde, le lézard et moi est avant tout un roman d'apprentissage sur fond de crimes de guerre.

«Contrairement à Kigali, qui est vraiment un roman sur le génocide, ce n'est pas un roman sur la justice internationale. C'est l'histoire d'un gars ordinaire qui est pris dans une situation hors de l'ordinaire.»

Claude, le narrateur, est un Québécois élevé dans une cage dorée, protégé par des parents ex-gauchistes, désillusionnés. Il découvre la pauvreté à la télévision, se forme une conscience dans les livres, tâte timidement de l'action politique, reçoit une éducation toute théorique. Lorsqu'il devient juriste à la Cour pénale internationale de La Haye, son rêve de justice subit le choc de la réalité en face de Kabanga, ce criminel crapuleux qui engage des enfants soldats.

«Il doit réagir pour la première fois de sa vie à une véritable injustice. Claude ignore tout de la vie», précise Courtemanche, qui a lui-même été consultant auprès du procureur de la Cour pénale internationale. «Le livre est inspiré d'un procès qui aurait pu avorter. Le nom du véritable accusé est Thomas Lubanga, un Congolais accusé d'avoir conscrit des enfants soldats».

Dans le roman, Kabanga est libéré pour «vices de procédures» et la justice internationale est montrée du doigt pour ses failles et ses dérives. Courtemanche se défend pourtant d'avoir voulu remettre en cause la légitimité de ce tribunal. «C'est le premier procès de la Cour pénale internationale. On est en train de créer un nouveau droit international, une nouvelle jurisprudence. Certains juges, par prudence ou pour affirmer leur puissance, ont pris des décisions qui auraient pu mener à la libération de Lubanga. C'était un power trip du banc des juges qui cherchaient une justice parfaite, mais ça n'existe pas. Il n'était absolument pas question de déni de droit.» Toujours est-il que dans le roman, Courtemanche s'est imaginé que le criminel de guerre est libéré. Claude, le justicier «infirme de la vie», fait alors la chasse au méchant meurtrier.

Un homme en construction

Avant la politique, il y a donc à l'origine du roman un personnage qui fuit l'émotion, se réfugie dans l'intellect et confronte sa justice de papier à la vie de terrain. «Il y avait un exercice que je voulais faire sur le plan littéraire: faire naître un personnage qui n'existe pas au début.» Courtemanche explique qu'à l'inverse des personnages principaux de ses deux précédents romans, qui sont déjà construits au début, Claude n'est rien.

«Ça faisait aussi longtemps que je voulais avoir un vrai personnage québécois. Claude est un gars du Mile End, qui suit les traces de ses parents dans la gogauche, en vrai Québécois, sans structure.» La composition du personnage se fait par touches progressives, à mesure qu'il vit des émotions venant ébranler sa conception théorique du monde. «Je voulais un personnage qui a peur de la vie, mais qui se rend au Congo pour peut-être tuer Kabanga.»

Claude va s'éveiller au contact de l'ennemi, puis des enfants soldats, dont il se fait le père adoptif, mais aussi en s'essayant à l'amour. «Pour moi, la peur de la vie, c'est essentiellement la peur des femmes. Claude ne comprend rien aux femmes. Il ignore la vie, tout en ayant l'illusion de la connaître et d'y faire des choses importantes. En fait, c'est un livre sur les gars comme moi, qui ont pris énormément de temps à découvrir la vie. Des types capables d'expliquer le conflit israélo-palestinien, la Somalie, qui contrôlent les nouvelles économiques, qui prévoient la crise, mais sont incapables de prévoir la tristesse de leur blonde.»

Ainsi, après le départ de Myriam, qui le quitte parce qu'il reste obnubilé par ses dossiers, Claude se retrouve seul au Congo avec, comme seul ami, un lézard. «Le lézard symbolise l'affection qu'il ne reçoit pas, qu'il ne comprend pas ou n'est pas capable de donner.» Cet homme, qui dérive «comme un galet ou une huître que les grandes marées élèvent et nourrissent», vient au monde à la dernière phrase du roman, indique Courtemanche. «Je ne veux pas mourir seul.» C'est aussi le titre provisoire de son prochain livre.

Le monde, le lézard et moi

Gil Courtemanche

Boréal, 230 pages, 22.95$

*** 1/2