Dans les ruelles de Venise, personne ne reconnaît Donna Leon, l'auteure américaine de 19 polars à succès traduits en une vingtaine de langues, qui apprécie cet anonymat dans la ville qu'elle a choisie comme cadre pour les enquêtes de son héros, le commissaire Brunetti.

«Personne ne sait pourquoi je suis ici, il n'y a pas de déférence» à mon égard, raconte cette femme de 67 ans, qui a insisté pour que ses livres ne soient pas traduits en italien afin de continuer à jouir de sa tranquillité dans la Cité des Doges, où elle vit depuis le début des années 80.

«Ce n'est pas une bonne chose pour les gens de devenir célèbres. En tous les cas, je n'ai jamais connu quelqu'un qui ait été bonifié par cette expérience», confie-t-elle dans un entretien à l'AFP.

Accusée dans ses ouvrages de caricaturer l'Italie, un pays dont les institutions et la police seraient totalement corrompues, et les Italiens, des mangeurs de pâtes qui n'arriveraient jamais à sortir du cocon familial, Donna Leon se défend.

«La seule fois qu'un Italien a critiqué mes livres, c'était une femme qui avait lu un exemplaire en allemand et prétendait que j'avais recours à des clichés», raconte-t-elle. «Tous les autres Italiens m'ont dit qu'ils étaient surpris que quelqu'un de non italien puisse comprendre aussi bien leur pays».

Le critique italien Ranieri Polese n'est pas de cet avis: «Il existe toujours un risque de tomber dans les stéréotypes et Leon n'y échappe pas. Ce n'est pas pour rien qu'elle ne veut pas que ses livres soient traduits en italien», a-t-il écrit dans le Corriere della Sera.

Dans les romans de Leon, les enquêtes du commissaire Brunetti entraînent le lecteur dans le labyrinthe vénitien fait de ruelles et de canaux, parcourus en «vaporetti» en quête d'indices pour résoudre de mystérieux crimes.

La carrière de Donna Leon doit beaucoup au hasard: après avoir débuté comme professeur de littérature anglaise, cette passionnée d'opéra se lance un jour un défi alors qu'elle se trouve au vestiaire de La Fenice, la célèbre salle d'opéra de Venise.

«Je voulais juste savoir si j'étais capable d'écrire un livre. Je n'étais pas vraiment intéressée par sa publication», note-t-elle.

Poussée par ses amis, elle présente le manuscrit au prestigieux prix japonais Suntory, qui récompense les meilleurs romans à suspense et qu'elle remporte.

Grâce au succès de ce premier roman, Mort à la Fenice, son destin est signé: elle publie depuis chaque année un nouveau volume, même si «elle ne planifie pas du tout ses livres».

Les titres, publiés en France par Calmann-Lévy et en poche chez Seuil-Points, se sont enchaînés: Mort en terre étrangère, Péchés mortels, Dissimulation de preuves, Le Cantique des innocents...

Quant à son nouvel opus, comme nombre des précédents, il commence par un meurtre: «Je l'ai tué et j'ai commencé le livre par son autopsie. Il est donc mort, et j'ai déjà écrit 150 pages, mais je viens seulement de découvrir qui il est», raconte-t-elle.

Autre avantage de son travail d'écrivain: elle est bloquée à son bureau aux heures auxquelles la ville est envahie par des hordes de touristes. «Venise est une ville vivable, mais tout est une affaire de timing», selon elle.

«Si vous sortez avant 10 h du matin ou après 20 h le soir, vous pouvez les éviter, mais à certaines époques de l'année, c'est vraiment INSUPPORTABLE», se plaint-elle en martelant bien les syllabes, même si elle ne quitterait Venise pour rien au monde.