Six enfants observent leur père, un doux excentrique, en s'interrogeant sur l'existence de l'âme et en trépignant d'impatience devant l'avenir. Dans Le temps qui m'est donné, plus récent roman de Jean-François Beauchemin, on reconnaît immédiatement le terreau de l'auteur qui, depuis La fabrication de l'aube, aime poser de grandes questions universelles en s'inspirant de ses souvenirs et de son histoire.

«Je pensais avoir écrit un livre sur l'enfance, mais ce n'est pas le cas, puisque ces enfants réfléchissent comme des futurs adultes.» Jean-François Beauchemin ne s'en cache pas: cette bête à six têtes - le livre est presque entièrement écrit au nous -, c'est lui, ses quatre frères et sa soeur. Et le narrateur raconte au nom du groupe comment ce père unidimensionnel, éternel patenteux et incapable de communiquer, les a tellement intrigués qu'ils ont vite essayé de comprendre son fonctionnement - comme il le faisait lui-même avec les grille-pain éventrés qui traînaient sur la table de la cuisine.

«Ces enfants cherchent ce qui anime leur père, et ça les force à réfléchir sur l'esprit humain, sur cette chose indéfinissable qu'est l'âme.» Leur quête n'est cependant pas mystique ou nouvelâgeuse: les enfants ne cherchent pas de réponse dans la religion, mais dans les livres et dans leurs propres observations.

Ils découvriront beaucoup plus tard, pendant les derniers mois de sa vie, que l'âme de leur père «dormait». Ils constateront ainsi la sensibilité et la grande solitude de cet homme. «Ça m'aura pris 43 ans avant de comprendre mon père, raconte Jean-François Beauchemin. C'est triste, mais c'est réjouissant aussi, parce qu'on s'est finalement tout dit. Plein de gens ne réussissent pas cela et regrettent que leurs parents leur aient échappé jusqu'à la fin.»

Le temps qui m'est donné n'est pourtant pas un livre sur la mort, mais bien sur la beauté de la vie, cette «expérience prodigieuse». Et surtout, soutient l'auteur, ce n'est pas un roman nostalgique. «Je viens d'avoir 50 ans et je ne pense que très peu au passé. J'aime ce qui m'attend, ça m'intrigue.»

Jean-François Beauchemin aime la maturité, apprécie la durée, et considère la vie comme un privilège. «Malgré la violence, la guerre, les cataclysmes, les malheurs, ajoute-t-il. Parce qu'à côté, il y a la beauté.» C'est qu'il est un éternel optimiste: la fraternité est d'ailleurs le thème central de son livre. «La vedette, c'est la cohésion.» Il raconte ainsi «une certaine façon de vivre ensemble», la beauté du clan, quel qu'il soit.

Vision du monde

Même si Le temps qui m'est donné a des allures d'autofiction, ce n'en est pas une, soutient l'auteur, qui déteste ce terme fourre-tout. «À ce compte-là, mettons le mot autofiction à la place de roman en dessous des noms de Proust, ou de Dany Laferrière!» De toute façon, il ne parle pas tant de sa vie que de sa vision du monde. Et même si, depuis le temps, les lecteurs ont l'impression de le connaître, il estime qu'il ne se dévoile pas tellement. «Ma vie n'est pas très significative. Je m'intéresse plus à la pensée qu'aux faits et gestes.»

Parce qu'il se déroule dans le monde de l'enfance, Le temps qui me reste est plus ludique et joyeux que sa trilogie qui s'est terminée avec Cette année s'envole ma jeunesse, où la mort était dans chaque page. Mais le temps de la légèreté est terminé pour cet auteur qui a radicalement changé ses thèmes et sa manière d'écrire après avoir passé quelques jours dans le coma il y a six ans. « Je n'écris plus de la même manière, et je préfère mes livres post-maladie. Je suis plus profond maintenant.»

Quand on a frôlé la mort de si près, on n'en sort pas indemne, et chaque geste prend une autre signification. «Dans chaque phrase que j'écris, il doit y avoir du sens, une réflexion, une émotion. J'essaie qu'aucune phrase ne soit inutile.» Jean-François Beauchemin n'a rien contre le divertissement. Mais pour lui, la littérature a une autre fonction, celle d'éclairer. «Les mots ont un rôle à jouer, on ne peut pas les utiliser à tort et à travers. Ma crainte, c'est d'arriver au bout de ma réserve. Mais si je n'ai plus rien à dire d'intéressant, ou si le public ne me suit plus, j'arrêterai.»

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Le temps qui m'est donné. Jean-François Beauchemin. Québec Amérique, 156 pages.