La haine. L'aborder de front comme le fait le numéro 125 (faut y arriver de nos jours!) de la revue Moebius relève du courage. Le sujet trouble. Le sujet accable. Pourtant, il est éternel, comme le souligne d'entrée de jeu Laurent Chabin. Devant l'imparable haine, il faut dire, redire, et surtout dénoncer. Il y a un peu de tout cela dans Moebius. La haine sur un mode mineur (Mathieu Arsenault) ou humoristique (Suzanne Myre), mais surtout grave (Léo Lamarche), voire insupportable (Mélanie Gélinas).

À lire pour tenter de comprendre, mais à petites doses. Certaines vérités sont plus dures à avaler que d'autres.

 

Celle-ci notamment: la haine s'insinue partout. Même en filigrane, dans le beau recueil de Joséphine Bacon, Bâtons à message, «édité» habilement par Laure Morali. On l'aura compris en lisant la postface.

Fille de louve, la poétesse innue a beau se faire belle et célébrer tout doucement ses racines avec des mots simples et justes, la haine des Blancs, on le sent à plusieurs reprises, l'a touchée profondément: «Mon enfance n'a de visage que les coups reçus.»

Le mépris de l'autre se cache derrière sa triomphante trajectoire d'une femme qui plie mais ne rompt jamais. Elle sourit irrésistiblement et nous fait rêver, malgré tout, d'animaux plus humains que les humains. «Ton coeur bat au rythme des battements d'ailes de l'aigle.»

L'incompréhension qu'ont subie les femmes de tout temps est aussi entrelacée dans la poésie de Carole David. Son Manuel de poétique à l'intention des jeunes filles rassemble, en partie, des écrits déjà publiés ailleurs, ce qui n'empêche pas une continuité, un élan tendre et drôle, mais aussi sérieux, gore, voire inquiétant, de s'installer.

C'est un recueil hommage - aux Mary Shelley, Maria Goretti et autres Camille Claudel - qui n'en est pas tout à fait un. Lucide et vraie, l'écriture de la poétesse remonte les images toutes faites et les renverse comme des crêpes dégoulinantes et/ou trop cuites. Quand Carole David est à la kitchen, les convives ne s'ennuient jamais.

Fascinante démonstration de culture et d'émotions brutes. Comme dans ce compendium, sa magnifique Jeanne d'Arc d'Hochelaga qui aime le feu et qui se brûle. «Le ciel enragé se moque d'elle, le détergent lui brûle les doigts; les cristaux chimiques, les vêtements virevoltent dans sa tête.»

Mais ces femmes traversent l'histoire. Elles sortent des cuisines-prisons pour enseigner la résilience.

Même constat à la lecture du magnifique recueil d'Élise Turcotte, Celle qui voit. Le regard franc de la poète peut paraître dur, mais les réalités qu'elle décrit le sont encore plus. Que ce soit à Ciudad Juárez, à La Nouvelle-Orléans ou en Afrique. Il n'y a pas que les femmes qui souffrent des désastres humains ou naturels, mais ce sont elles que l'on retrouve toujours au premier rang.

Désolation, brutalité, abandon, violence, indifférence... la haine sous toutes ses formes. L'auteure décrit, comprend et plonge dans le drame pour en ressortir bien vivante, grâce au langage rédempteur, mais tout de même troublée, secouée, interdite. Dans ce monde dit moderne, sur cette planète à sauver, il y a encore et toujours des drames sourds et incompréhensibles qui se jouent. Élise Turcotte en rend compte avec acuité.

Douloureux mais nécessaire.

Revue Moebius Numéro 125, 161 pages, 10$

Bâtons à message Joséphine Bacon Mémoire d'Encrier, 144 pages, 15$

Manuel de poétique à l'intention des jeunes filles Carole David

Les Herbes rouges, 84 pages, 14,95$

Ce qu'elle voit

Élise Turcotte, Le Noroît, 64 pages, 15,95$