Remarquée dès son premier roman, Du bon usage des étoiles, dont les droits ont été achetés par Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.Y.), Dominique Fortier est de retour avec Les larmes de saint Laurent, qui nous plonge encore une fois dans ce XIXe siècle qu'elle aime tant, mais aussi dans le Montréal d'aujourd'hui. Du coeur de la Terre jusqu'au coeur du frère André, tremblements de terre, volcan et éternité ; l'univers de Dominique Fortier est un cabinet des curiosités à découvrir.

Dominique Fortier s'excuse presque de sa prescience dans les thèmes de son nouveau roman, écrit avant les séismes d'Haïti et du Chili et l'éruption volcanique en Islande. Même qu'elle a ajouté une note à la fin du livre pour honorer la mémoire des victimes en Haïti, inquiète qu'on puisse faire des rapprochements entre le réel et la fiction.

C'est que Les larmes de saint Laurent commence avec la catastrophe naturelle de la montagne Pelée en 1902, dont l'éruption a anéanti totalement la ville de Saint-Pierre, en Martinique, ne laissant qu'un survivant, Baptiste Cyparis. Tout cela est rigoureusement vrai, l'écrivaine s'est documentée. Mais ce qui lui a inspiré avant tout ce deuxième roman est la découverte des théories du mathématicien anglais Edward Love (par le biais de Jeopardy!), qui a donné son nom à l'onde la plus meurtrière des tremblements de terre: les Love Waves (traduction: les vagues d'amour). «Ça ne s'invente pas! lance Dominique Fortier. Une fois qu'on sait cela, on ne voit plus l'amour et les tremblements de terre de la même façon. Évidemment, la tentation de faire des liens cosmiques avec l'actualité est forte, mais ce serait projeter le livre sur le réel après coup.»

Ce genre de hasard arrive assez souvent dans la vie de Dominique Fortier, qui est pourtant loin d'être ésotérique. Mais ces liens sont l'esprit de ses romans, où les moindres détails sont pensés et connectés, les personnages au même niveau que les objets, les animaux, la nature. «C'est vrai que je n'ai pas de hiérarchie. Le vrai bonheur de la littérature, pour moi, c'est le plaisir de faire des liens entre des choses que je ne connaissais pas, des liens auxquels je n'avais jamais pensé. C'est un peu ça le métier d'écrivain... et de lecteur, si cela peut être un métier.»

Ce qui nous dépasse ou nous semble inférieur, un volcan ou un chien... «Je me suis promenée sur la Montagne pendant des années avec mon chien, et j'avais l'impression que c'était quelque chose de plus grand que moi, mais quelque chose de vivant. Chaque jour, je découvrais une montagne différente. C'est une vie à une autre échelle que la nôtre.»

Magie du XIXe siècle

Le destin de Baptiste Cyparis, miraculé du volcan, le mène au cirque, pendant qu'en Angleterre, Edward Love développe ses théories sur les tremblements de terre et visite Pompéi; au XXIe siècle, une jeune femme et un jeune homme se rencontrent sur le mont Royal, qui n'est pas, comme on le pense, un volcan... Voilà les trois histoires écrites en parallèle par Dominique Fortier dans Les larmes de saint Laurent et qui sont liées, mais on ne vous dira pas comment.

Il y a énormément de trouvailles dans les romans de Dominique Fortier, qui ne voit pas l'intérêt d'écrire sans apprendre quelque chose. De petits trésors qui n'attendaient qu'à être déterrés. Par exemple, ce titre, Les larmes de saint Laurent, est l'autre appellation des Perséides, cette pluie d'étoiles filantes qu'on voit l'été. Et saint Laurent, c'est un martyr qui a choisi de rire devant le supplice...

Le XIXe siècle, grande époque de recherches archéologiques et scientifiques, est un terreau fertile pour l'écrivaine. «D'abord, c'est la période où la littérature française a été la plus intéressante à mon avis. C'est aussi une époque qui nous ressemble, tout en étant éloignée. C'est le début de la modernité et de cette obsession du progrès. Je suis fascinée par la science, mais surtout par ses limites. Il y avait une innocence et une naïveté dans ce domaine, quand on pouvait se quereller pendant des mois sur la possibilité de congeler l'eau de mer, quand une bonne partie de la planète n'était même pas cartographiée. C'était une science qui était encore un peu empêtrée dans le mythe et la légende.»

Donc une période où science et littérature pouvaient faire bon ménage, alors que la science aujourd'hui, parce qu'elle nous a dépassés, nous fait plutôt ressentir une perte d'innocence et de sens - la science-fiction qui en a découlé est d'ailleurs souvent cauchemardesque. Dominique Fortier est à cheval entre les deux, de la famille des Mary Shelley et Marguerite Yourcenar, ce qui la fait rougir quand on le lui dit.

Ce qui pose aussi la question du style, très classique chez elle. «Je ne pense pas qu'on a plusieurs voix, je pense qu'il faut parler avec la voix qui est la nôtre. La mienne a peut-être l'air anachronique, parce que je me suis nourrie beaucoup de romans du XIXe siècle, mais je trouve que la langue française permet ça. Ce n'est pas pour moi un statement esthétique. Le fait que j'écrive sur le XIXe siècle conditionne un certain souffle, une certaine phrase.»

Tout de même, écrire de cette façon, dans une littérature pas tout a fait guérie de son obsession de la modernité, cela veut dire quelque chose... «Le vrai truc singulier est peut-être de ne pas faire ce que tout le monde est en train de faire, c'est peut-être l'ultime révolution», concède-t-elle en riant.

Dominique Fortier apprend avec émerveillement les rudiments de l'écriture scénaristique avec Jean-Marc Vallée, une classe de maître inespérée pour elle auprès du cinéaste, qui compte bien aller chercher des capitaux britanniques pour mener le film à bon port. Du bon usage des étoiles et Les larmes de saint Laurent seront traduits en anglais chez McLelland&Stewart, la plus prestigieuse maison d'édition canadienne, sous la plume de Sheila Fishman, une star pour Dominique Fortier, qui est elle-même traductrice de profession. «C'est celle qui a traduit Anne Hébert, Hubert Aquin, Sylvain Trudel, je n'en revenais pas!»

Toutes ces bonnes nouvelles n'ont rien à voir avec le hasard, quand on a du talent...

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Les larmes de saint Laurent. Dominique Fortier, Alto, 333 pages, 24,95 $.