James Frey, le nouveau bad boy des lettres américaines, est de passage en ville pour le Festival littéraire international Metropolis Bleu. La Presse l'a rencontré pour discuter de son dernier roman et des controverses qu'il aime attiser.

James Frey a connu la consécration et la crucifixion sur la place publique entre 2003 et 2006 avec A Million Little Pieces (Mille morceaux en français) et My Friend Leonard, deux romans inspirés des bas-fonds de sa vie tumultueuse, qui lui ont valu d'être invité sur le très convoité plateau d'Oprah Winfrey. Mais des journalistes ont révélé que de larges pans du bouquin avaient été inventés de toutes pièces, ce qui a représenté pour plusieurs un crime de lèse-majesté biographique.

 

Seuls Brett Easton Ellis et Norman Mailer ne l'ont pas cloué au pilori dans la tourmente, alors que même son agent littéraire l'avait laissé tomber, tandis qu'Oprah lui rentrait dedans dans une émission spéciale intitulée «The James Frey Controversy». Son troisième roman, paru en français sous le titre L.A. Story, offre le portrait éclaté de la ville de Los Angeles en suivant une multitude de destins, entrecoupés de détails historiques et de statistiques... qui ne sont pas toujours vrais.

Q Vous êtes devenu à la fois célèbre et paria avec Mille morceaux. Comment avez vous traversé cette controverse?

R C'était étrange, même surréaliste par moments, un peu inconfortable aussi, mais en général, cela m'a rendu heureux. Mille morceaux n'a pas été écrit comme un mode d'emploi pour s'en sortir, c'était un travail artistique, qui se voulait choquant, en combinant des faits, de la fiction, de la littérature. Quand le livre est devenu célèbre, il l'est devenu pour quelque chose qu'il n'était pas et quand la controverse est arrivée, il est devenu ce qu'il devait être. Je n'ai pas grandi avec l'idée d'être le gars le plus populaire, je voulais être un fauteur de troubles, je voulais devenir l'écrivain le plus controversé de mon pays. Les écrivains que j'aime sont Henry Miller, Kerouac, Michel Houellebecq ou Norman Mailer, parce qu'ils causent des problèmes. Alors tout ça, c'était bien, mais ce n'est pas arrivé de la façon dont j'aurais voulu.

Q Pourquoi croyez-vous que les gens sont obsédés par la vérité dans la fiction, et que même lorsqu'il s'agit de fiction, ils pensent que c'est la vérité?

R Je pense que les gens sont plutôt obsédés par les faits. Mais les faits et la vérité sont pour moi deux choses complètement différentes. Je pense que les Américains sont très hypocrites avec les faits. Dans tous les livres que j'écris, je joue, je démolis tout, je confonds tout, mais c'est toujours une question de vérité. C'est un pays qui a été fondé par des puritains avec une idée de la morale, mais c'est de la merde. Et c'était très drôle pour moi dans les dernières semaines quand on a appris qu'Oprah aurait inventé des grands bouts de son enfance...

Q Avez-vous connu des problèmes à la sortie de L.A. Story aussi?

R Si vous lisez les critiques américains, on écrit que c'est soit un grand livre, soit un livre horrible. Certaines personnes avaient un problème seulement avec l'idée que j'écrive un autre roman! Mais j'aime ça. Je n'écris pas sur les papillons, j'écris pour changer la façon dont les gens pensent un livre, l'écriture, la lecture et comment ils vivent.

Q Vous êtes arrivé à Los Angeles à 25 ans. Quelle a été votre première impression?

R Vous savez, tout le monde a ses idées sur Los Angeles. Une belle grosse ville remplie de belles personnes stupides qui veulent toutes devenir célèbres. Et quand j'y suis allé, je pensais que c'était vrai. L.A. est un endroit étrange, ce n'est pas une ville normale, elle n'a aucun centre, elle ne se développe pas normalement et n'existe pas normalement. Les premiers six mois, j'ai détesté, mais maintenant, c'est mon endroit favori. Je vis à New York à cause de ma femme.

Q Il y a très peu de «happy ends» dans votre roman.

R C'est plus près de la réalité. La plupart d'entre nous ne sont pas heureux, n'obtiennent pas ce qu'ils veulent, ne voient pas leurs rêves se réaliser, alors que L.A. est une ville entièrement basée sur le rêve. C'est trop facile d'écrire des happy ends, de la cochonnerie quétaine pour faire sourire les gens. Je voulais écrire un gros roman américain ambitieux sur une grosse ville américaine.

Q Quelles ont été vos recherches pour parsemer votre roman d'autant de détails et comment avez-vous construit sa structure éclatée?

R D'abord, j'y ai vécu neuf ans. J'ai trouvé le reste sur l'internet. Et quand je ne trouvais pas ce que je voulais, je l'inventais. Environ 30% des informations dans le livre sont inventées. Mais personne ne pourrait faire la différence. Quant à la structure, elle est faite pour représenter la ville, le personnage principal du livre. Cette ville n'a aucune centre, donc je ne voulais aucune narration principale. La structure s'inspire aussi du monde rapide dans lequel on vit, alors que nous sommes bombardés d'informations, par la télé, la radio, les magazines, les livres, les journaux, l'internet.

Q Et quel est votre prochain projet de roman?

R Je suis en train d'écrire un livre sur le testament final de la Sainte Bible. En fait, le troisième livre de la Bible après l'Ancien et le Nouveau Testament. Ça parle du Messie s'il habitait aujourd'hui New York. À quoi il ressemblerait, à quoi il croirait et comment il serait reçu. Ça risque d'être très fort ou très embarrassant. Mais vous savez, cela revient à ce débat sur les faits et la vérité. Beaucoup de gens pensent que la Bible est un recueil de faits absolus, mais elle a été écrite par des gens comme moi...

James Frey sera en entrevue avec Danielle Laurin demain à 12h30 au Festival Metropolis Bleu, à l'hôtel Delta Centre-Ville (777 rue Université).

L.A. STORY

James Frey,

Flammarion Québec, 495 pages