Qui connaît aux États-Unis l'écrivain français J.M.G Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008? Une petite élite. Qui lit des auteurs anglo-saxons en France? Tout le monde.

En cause, le déséquilibre du flux de traductions du français vers l'anglais et le désintérêt américain pour les voix venues de l'étranger.

Près de 40 000 oeuvres littéraires en anglais ont été traduites à Paris de 1990 à 2003 contre 640 en français, y compris des autres pays francophones, traduites à New York.

C'est ce qui ressort d'une vaste enquête sur les flux de traductions et des échanges éditoriaux, menée dans les deux pays par Gisèle Sapiro, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique français (CNRS) et directrice du Centre européen de sociologie et de science politique.

Dans le monde, un livre sur deux est écrit originellement en anglais.

Gisèle Sapiro a concentré son analyse sur Paris et New York, qui occupent une position centrale dans les échanges littéraires. «Cela leur confère un rôle de médiation et un pouvoir de consécration sur le marché mondial de la traduction. Ces deux centres constituent un terrain privilégié pour comprendre les transformations de ce marché», souligne l'auteur à l'AFP.

En vingt ans, de 1980 à 2000, les traductions ont augmenté dans le monde de 50 % mais «ce n'est pas synonyme de diversification et l'anglais a renforcé sa position hypercentrale, de 43 % à 59 % des livres traduits», ajoute-t-elle. Loin derrière, le français s'est maintenu à 10 %.

Cette asymétrie quantitative entre Paris et New York est aussi «qualitative». Les traductions de romans populaires français aux États-Unis sont quasi inexistantes. En revanche, une écrasante majorité de traductions de l'anglais figurent parmi les best-sellers et les polars, thrillers ou romans sentimentaux en France.

«L'éditeur le plus traduit aux États-Unis est Gallimard avec 29 % des titres. Les traductions du français se situent principalement dans la production haut de gamme», note Gisèle Sapiro.

Même si, quand Jean-Marie Gustave Le Clézio a reçu le Nobel de littérature, il était un parfait inconnu pour les grands éditeurs américains. Il vit pourtant en partie à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, dans le sud des États-Unis.

Cinq de ses romans sur la cinquantaine publiée avaient été traduits aux États-Unis, chez de petits éditeurs.

Le refus de traduction, «c'est de l'arrogance et de l'impérialisme, mais il y a une prise de conscience dans la nouvelle génération et un renouveau avec de petits éditeurs qui investissent dans la traduction du français, comme Arcade, fondé par Richard Seaver, ou David Godine à Boston», estime la sociologue française.

Ce sont surtout les presses universitaires et les éditeurs à but non lucratif - statut fiscal qui n'interdit pas de faire des bénéfices -, comme The New Press, qui importent la littérature française outre-Atlantique.

«Aux États-Unis, il n'est pas mentionné sur la couverture d'un livre qu'il s'agit d'une traduction pour ne pas effrayer les acheteurs», relève Jacqueline Lahana de l'Association des traducteurs littéraires de France (ATLF).

En France, le traducteur est titulaire de droits d'auteur au même titre que l'auteur et le forfait est interdit, contrairement aux États-Unis.