Pour Jacques Savoie, le rôle de la littérature n'est pas de reproduire le réel, à preuve ce «pastiche de roman policier» qui ne laisse pas Cinq secondes de répit.

Jacques Savoie est l'un des rares auteurs québécois à vivre de sa plume. De ses plumes, devrions-nous dire, car il a le bonheur d'en avoir deux. Une de romancier et une de scénariste, cette dernière plus à même d'assurer le mieux vivre si on regarde la chose du seul angle du revenu imposable.

Sa carrière de scénariste a commencé avec le film Les portes tournantes qu'il avait scénarisé à partir de son propre roman, à la demande du réalisateur Francis Mankiewicz (1988). Pour la télé, il signera plus tard Les orphelins de Duplessis, Bombardier et Les Lavigueur: toutes des séries à catactère historique.

En d'autres temps, Jacques Savoie écrit de la fiction. Des romans pour la jeunesse ou pour l'âge adulte, comme Cinq secondes, son neuvième, qui n'est pas pour les enfants, loin s'en faut. «Je construis mes romans à partir d'un thème», nous dira d'abord Jacques Savoie, qui écrit non pas dans son bureau, mais dans son studio où le clavier de l'ordi côtoie celui du piano: ce fils de bonne famille (acadienne) est aussi musicien.

«Je me destinais à l'enseignement de la littérature. Je préparais ma thèse de doctorat (dans une université française). J'avais le crayon dans les mains quand j'ai décidé d'aller jouer de la cuillère avec Beausoleil-Broussard...» Tout naturellement, Jacques Savoie en viendra à écrire les textes du groupe (1976-1980): première plume à son chapeau.

Un thème donc... Cinq secondes, explique son auteur, est construit sur l'idée du pardon, qui l'a toujours fasciné, parce qu'«insoluble». «Le pardon est le talon d'Achille de l'homme. Qui l'a jeté dans la cour des religions parce qu'il n'a jamais su quoi faire avec... La plupart des gens voient dans le pardon une notion religieuse, mais il s'agit en fait d'une notion humaniste: celui qui pardonne s'élève, celui qui ne pardonne pas s'enfonce.»

Mais il y avait plus que le pardon... Jacques Savoie avait commencé à écrire Cinq secondes quand, à la suite d'une grave opération, il a vécu une expérience de mort imminente, qui était déjà une composante importante du roman.

«La chose est vastement documentée, mais personne n'aime en parler vraiment. L'expérience de la mort imminente peut prendre trois formes. La première fait que l'on sort de son propre corps - ç'a été mon cas: je me suis vu allongé dans la salle de réanimation et, après, je me suis rappelé de détails que j'ai confirmés auprès du personnel.»

La deuxième forme prend l'aspect du «film de notre vie» que l'on revoit en un flash. Cinq secondes, par exemple... Et la troisième expérience de mort imminente met le sujet dans un long tunnel au bout duquel il voit la lumière. Qui pourrait bien être éternelle.

Dans tous les cas, dira encore Jacques Savoie, le mortel se retrouve face au jugement dernier, peut-être devant son Dieu, mais assurément face à lui-même et à la responsabilité de sa vie propre: a-t-il assez pardonné?

Rien n'est exprimé ainsi dans Cinq secondes, qui a pris la forme d'un roman policier. Parce que «le genre littéraire est imposé par le thème»: d'un côté, le pardon, de l'autre, un acte «impardonnable», sanctionné par la loi, la plupart du temps.

La loi avec ses juges et ses avocats, ses aveux et ses pardons, ses bons et ses méchants... Ici un enquêteur qui n'est même pas alcoolique, manière de nerd qui hante le Montréal souterrain avec son ordi et son «petit bras», vestige de la thalidomide, de triste mémoire. Personnage «improbable», selon le nouveau cliché journalistique.

«Le propre de la littérature n'est pas de reproduire la vérité», répond Jacques Savoie, un humaniste qui se voit parfois comme un «psychologue manqué». «Il s'agit d'un pastiche de roman policier dont le moteur est les personnages. Pas leurs méthodes mais leur vérité profonde.»

Et souvent impardonnable.

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CINQ SECONDES. Jacques Savoie. Libre Expression. 311 pages, 24,95 $.