«Je n'écrirai plus de romans sur les vampires.» Point. Longtemps considérée comme la «reine des ténèbres», l'auteure d'Interview With A Vampire, Anne Rice, est en effet passée de l'ombre à la lumière, de l'athéisme à la foi. Elle vit maintenant à L'heure de l'ange, du titre de sa nouvelle trilogie. Entretien.

Anne Rice, quand elle s'appelait encore Howard Allen O'Brien - «Ma mère avait trouvé amusant de me donner le nom de mon père» -, a grandi à La Nouvelle-Orléans avec une mère si alcoolique qu'elle en est morte lorsque celle qui allait un jour écrire Interview With A Vampire avait 14 ans.

Quelques années plus tard, la future romancière a épousé son premier amour, le poète et peintre Stan Rice, avec qui elle a eu une petite fille - qui est morte du cancer à l'âge de 5 ans. En 1998, elle apprend qu'elle souffre de diabète de type 1. Trois ans plus tard, Stan s'éteint, après 41 ans de mariage. Quant à la maison qu'ils ont habitée ensemble à partir de 1989, et qui sert de décor à plusieurs des romans de l'écrivaine, elle a été rasée par l'ouragan Katrina.

Reconversion salutaire

Anne Rice est née catholique. Elle s'est dite athée pendant des années. Elle a retrouvé la foi en 1998.

Sans cette reconversion, a-t-elle déjà affirmé, elle n'aurait pu tenir le coup quand le cancer incurable de son mari a été diagnostiqué. «Mais le principal changement, pour moi, depuis que je suis retournée à la foi, c'est que je ne me sens plus perdue», a raconté la romancière jointe chez elle au téléphone par La Presse. Et chez elle, c'est désormais une maison paisible dans le désert californien. «De ma fenêtre, je vois des palmiers et, au loin, les montagnes enneigées. Il y a des fleurs partout et de la lumière, beaucoup de lumière.»

Elle recherche cela, aujourd'hui. Oh, pas parce qu'elle est passée de la noirceur de l'apostasie à la lumière de la foi! Bon, il y a peut-être aussi un peu de ça mais, surtout, «quand on vieillit et qu'on est malade, il est plus simple de vivre au même rythme que le reste du monde», s'amuse celle qui aura 70 ans l'an prochain.

Parce qu'écrire de nuit, comme elle l'a longtemps fait, elle aime encore. Pour la tranquillité. C'est tandis que les siens dormaient qu'elle a écrit ses romans mettant en scène les êtres nocturnes que sont Lestat le vampire et ses ouailles, de même que les sorcières Mayfair.

Noirceur

Quinze des 29 romans qu'elle a signés à ce jour et qui se sont vendus à plus de 100 millions d'exemplaires sont de cette eau-là. Et si la sensualité y est à fleur de peau (elle a commencé sa carrière d'écrivaine en publiant, sous pseudonyme, trois livres racontant les infortunes d'une Belle au bois dormant... disons, en chaleur), c'est surtout leur noirceur, leurs personnages torturés et leur esprit gothique qui restent en mémoire.

«Je n'en étais pas consciente à l'époque parce qu'autrement, ça m'aurait arrêtée mais, oui, il est possible que j'aie écrit Interview With A Vampire pour exprimer ma peine et mon deuil à la suite de la mort de ma fille. La fantasy a été, pour moi, un moyen de dire mes sentiments. Et c'est dans ce genre que j'ai trouvé ma voix de romancière», dit-elle.

Ce, à une époque - les années 70 et 80 - où ce genre-là n'était pas pris au sérieux et n'était pas particulièrement à la mode, à quelques exceptions près (dont elle a fait partie). La chose est très différente aujourd'hui. Elle s'en réjouit et parle avec enthousiasme du travail de Stephenie Meyer (Twilight) et de celui de Charlaine Harris (True Blood), qu'elle connaît par leurs adaptations à l'écran. De la première, elle dit: «Elle a été brillante de planter ses personnages dans une école secondaire et, ainsi, de les rendre très concrets auprès des adolescents.» Et de la seconde, «j'aime le plaisir satirique qui émane de ses histoires».

Mais la vague «vampiresque» qui déferle actuellement sur le monde ne l'incitera pas à replonger sa plume dans le sang des immortels. «Mes romans existent encore, ils sont en librairie, se sont toujours bien vendus et se vendent encore mieux grâce à l'actuelle popularité des histoires de vampires. Mais moi, j'ai écrit tout ce que j'avais à écrire sur ce sujet.»

Un autre genre

Ainsi est-elle passée à un autre type de fantasy. Imaginant par exemple l'enfance de Jésus (la trilogie «Christ the Lord», dont les deux premiers tomes sont parus mais n'ont pas été traduits en français) ou encore écrivant sur les anges gardiens dans la série qui débute avec L'heure de l'ange.

Un pas à franchir à partir du seuil des ténèbres moins grand qu'on l'imagine: «Les vampires tels Edward dans Twilight et Bill dans True Blood sont un peu les anges gardiens de Bella et de Sookie: ils les aiment et les protègent.» La grande distinction: la rédemption n'est pas possible pour eux. Et c'est une des choses qu'Anne Rice désire explorer. Prendre des personnages perdus, et les mener vers un destin plus grand.

Ainsi est né Toby O'Dare, mal-aimé et malmené durant l'enfance, devenu tueur à gages, dont le destin bifurque quand il rencontre Malchiah. Son ange gardien. Capable de l'envoyer au Moyen-Âge pour sauver une famille juive. Et, ainsi, viser la rédemption. Une chance? Un rêve? Un cauchemar, peut-être? Un cousin d'Interview With A Vampire, avance plutôt Anne Rice, un sourire dans la voix: «Regardez la structure. Un homme en quête de lui-même rencontre un être surnaturel et en sort transformé.»

L'une des différences, pour elle: «Je ne crois pas aux vampires, ils n'existent pas. Mais je crois aux anges gardiens, même si je n'en ai jamais vu ni entendu. J'en ai un... et vous en avez un aussi. C'est donc, pour moi, une autre manière d'aborder la fantasy.» Une fantasy qu'elle qualifie simplement de «merveilleuse». Sa voix est, ici, sereine. Et que l'on adhère ou pas à sa nouvelle voix, chose certaine, elle, a trouvé sa voie.

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L'HEURE DE L'ANGE. ANNE RICE. MICHEL LAFON, 2010, 272 PAGES, 28,95 $.