Josée Bilodeau explore ces brefs moments où on perd ses repères et risque de sombrer dans le tragique ou dans le ridicule. Une forme brève et morcelée qui sied bien à son écriture dense et précise.

Même dans les moments tragiques, on n'échappe pas au quotidien, aux petits détails qui tuent.

«Cela me plaisait de montrer que notre vie peut être en train de basculer complètement, et tout ce qu'on va avoir en tête, c'est «j'aurais dû mettre ma robe rouge». C'est parfois aussi bête ce qui ressort de ces moments-là!» explique Josée Bilodeau, à propos de son nouveau recueil de nouvelles, en librairie depuis cette semaine.

Dans ces 11 histoires, qui se répondent entre elles, des femmes dans la trentaine et la quarantaine pour la plupart racontent un de ces instants où la vie normale vacille.

Ici, une télécommande perdue révèle l'inévitable rupture avec l'homme avec qui la narratrice est en train d'emménager. Là, une partie de soi s'égare dans les toilettes du TGV. Ailleurs, le geste dur d'un clochard blesse puis libère des angoisses. Ou un amour meurt et renaît dans un marché mexicain.

Les voyages précipitent les événements, déstabilisent les personnages. «Ce qui m'intéressait, c'était de placer chacune de mes narratrices devant un moment où, tout à coup, le monde devient illisible. Elles ne comprennent pas ce qui se passe. Cela peut donner des conséquences tragiques ou cela peut être juste ridicule.»

Dans son dernier roman, On aurait dit juillet, paru il y a deux ans, on avait remarqué la structure fragmentée du récit, plus proche de la nouvelle que du roman.

Cette fois, la forme de la nouvelle s'est imposée d'elle-même. «Je suis très admirative de ceux qui font des fresques, des romans-fleuves qui ont beaucoup de souffle. Ça ne marche pas pour moi. J'ai un esprit de synthèse, un style plus télégraphique parfois. Mais en même temps, j'aime beaucoup travailler l'instant.»

Et c'est justement l'affaire des nouvelles que de saisir un instant, une «brèche dans la réalité». Rapidement, en quelques phrases, le ton et l'atmosphère sont donnés. Dans son dernier roman, Josée Bilodeau avait commencé à introduire des éléments en décalage avec le réel. Cette fois, les ouvertures sur un monde étrange ou inquiétant sont plus marquées.

Que sait-on de ces femmes? Bien peu de choses, à tout le moins sur leurs occupations et apparences. En même temps, elles partagent toutes une certaine «conscience de leur apparence, qui est toujours là, peu importe ce qui se passe autour». Les contours demeurent flous, pour laisser toute la place à l'intériorité des personnages.

Réviseuse au site internet de Radio-Canada, Josée Bilodeau a publié Kilomètres, un recueil de prose poétique aux Intouchables, en 1999, et le roman La nuit monte, chez XYZ en 2003, avant d'écrire On dirait juillet.

Ces Incertitudes ne sont pas que celles des personnages, mais aussi celles de l'écrivain au travail, précise-t-elle en début d'ouvrage. Chose certaine, quelle que soit la réception du livre, elle a beaucoup appris sur son métier en écrivant ce recueil. Elle pourrait même publier les «bloopers», dit-elle, tant elle a enlevé des couches superflues (avant d'en rajouter de nouvelles)!

Pourtant, son écriture est limpide, simple et dense. Elle ne semble pas travaillée, même dans les passages où la langue est plus poétique, comme Dans la chambre andalouse, une métaphore osée de corrida amoureuse. Un flash que l'auteure a eu lors d'un spectacle de flamenco moderne, il y a deux ans au Festival de théâtre des Amériques où un danseur rendait hommage à la tauromachie. Les premières phrases ont été écrites là. L'atmosphère est restée.

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Incertitudes. Josée Bilodeau. Québec Amérique. 129 pages. 16,95 $.