Eh oui, c'est bientôt la Saint-Valentin, beau prétexte pour vous parler d'amour. Car si on ne le fait pas maintenant, quand le fera-t-on? On parle ici du sentiment, thème essentiel qu'on nous réduit souvent ces jours-ci aux manuels pratiques pour se rendre au 7e ciel. Le préférez-vous courtois et réinventé à la sauce vampire (si je te touche, je te tue), de type inclination à La Princesse de Clèves, sauvage et absolu, d'une tendresse énorme et viscérale, ou fraternel et universel?

Voici quelques suggestions d'histoires d'amour - et pas forcément de romans dits d'amour - qui ont touché une corde sensible chez nos journalistes.

L'HISTOIRE DE L'AMOUR

Nicole Krauss (traduit par Bernard Hoepffer). Gallimard, 356 pages, 2008.

«Quel livre apporterais-tu sur une île déserte?» La question, au mieux, fait sourire. Au pire, elle provoque un soupir agacé. Et puis, un jour, si on lit beaucoup ou que l'on est très chanceux, on le trouve. L'effet est semblable à celui d'un coup de foudre. On en sort ébloui, un peu gêné. Troublé parce que dans le fond, on n'y croyait pas trop, au coup de foudre. Ainsi L'histoire de l'amour, avec ce titre pas possible (et pourtant, au bout du compte, si justifié parce que... c'est ça, tout simplement), est-il entré dans ma vie en 2006. Il n'en est pas sorti. Avec une virtuosité époustouflante, Nicole Krauss livre ici un texte où elle voulait dire «le pouvoir de l'imagination comme outil de survie, comme consolation». Mission accomplie, à travers un chant à plusieurs voix hanté par la Shoah. Il y a la voix de Leo Gursky, vieil émigré juif polonais, qui a autrefois écrit - et perdu - un roman pour sa bien-aimée Alma. Il y a la voix d'Alma, qui n'est pas celle du livre perdu, mais d'une adolescente en deuil de son père. Il y a la voix de Zvi Litvinoff, exilé au Chili et auteur d'un livre intitulé L'histoire de l'amour - mais en est-il vraiment l'auteur? Plusieurs styles se côtoient dans ces pages où, pourtant, rien ne se heurte. Tout s'assemble par magie. On est ébloui quand deux morceaux s'emboîtent l'un à l'autre, révélant un motif inattendu. On est bouleversé quand, au détour d'une phrase, s'éclaire tout un pan de destin. Ces pages-là racontent l'amour. Et provoquent l'amour.

- Sonia Sarfati

TOURS ET DÉTOURS DE LA VILAINE FILLE

Mario Vargas Llosa. Gallimard, 2006.


Ricardo est à peine pubère à la fin des années 50 quand il rencontre à Lima une belle adolescente qui l'attire et le repousse. Elle lui dit s'appeler Lili et parle avec l'accent du Chili. Il lui fait la cour. Elle résiste. Lors d'une fête, Ricardo apprend en même temps que tout le monde qu'elle n'est pas plus Chilienne que lui. Honteuse, elle disparaît. Ricardo s'exile à Paris. Il fréquente la diaspora péruvienne où germent des groupuscules rêvant d'un autre Cuba. Un jour, débarque la camarade Arlette qui n'est nulle autre que Lili. Ricardo a une brève aventure avec elle, avant son départ pour un camp de formation à La Havane. Les années passent, Ricardo ronge son frein. Et puis, survient une femme élégamment vêtue. Lili est devenue Mme Françoise Arnoux, femme d'un diplomate français. Au fil des ans, elle sera Mme Richardson, épouse d'un riche éleveur de chevaux, Kuriko, esclave sexuelle d'un trafiquant japonais de cornes de rhinocéros, puis enfin Mme Ricardo Somocurcio avant de lui faire faux bond une autre fois pour lui ménager une ultime preuve d'amour.

- Rudy Le Cours

LA SOLITUDE DES NOMBRES PREMIERS

Paolo Giordano. Seuil, 2009.


Deux âmes soeurs: après une enfance dans la douleur voulue ou subie, Mattia et Alice étaient destinés à vivre ensemble de longs jours heureux. Ça, tout le monde l'a compris ce soir de fête où, pour la première fois, ils osèrent enfin se prendre la main. Créant le vide autour d'eux. Suscitant la jalousie des garçons et des filles. La jonction de leurs doigts était si parfaite... Sauf que. Sauf que voilà, l'amour n'est pas une chose si simple lorsque, comme Alice et Mattia, on est un «nombre premier», c'est-à-dire un nombre entier naturel qui ne se divise que par lui-même, selon Le Petit Robert. Ou encore, dans le langage de Mattia-le-surdoué: des nombres «merveilleux» parce qu'ils sont «soupçonneux et solitaires». Pourquoi? Parce que, même lorsqu'ils sont très semblables et très proches, les couples de nombres premiers restent invariablement séparés. Dans l'univers des maths par un nombre pair, comme le 11 et le 13 ou le 41 et le 43. Dans l'univers des sentiments par l'orgueil, la gêne, le destin et un mal-être qui seraient plus forts que l'amour. En théorie du moins. Raconté dans un style épuré, voire scientifique pour éviter de sombrer dans le mélo, cette chronique lucide du passage de l'adolescence à l'âge adulte a été comparée dans la presse étrangère à l'oeuvre phare du défunt J.D. Salinger, L'attrape-coeurs. En Italie, pays de son auteur, La solitude des nombres premiers a fait un tabac et raflé le prix Strega, l'équivalent du Goncourt français. Plus d'un million de copies y ont déjà été vendues. Et dire que son auteur - un scientifique, cela allait de soi - n'a pas encore 30 ans.

- Violaine Ballivy

L'AMANT DE LADY CHATTERLEY

D.H. Lawrence. Folio Classique, écrit en 1928, publié en Grande-Bretagne en 1960.

Désolée, entre l'amour romantique et le physique, c'est ce dernier qui l'emporte haut la main pour moi. Parce que l'amour physique peut, à (de très rares et précieux) instants, devenir quasi mystique, certainement sacré, et c'est exactement ce que L'amant de Lady Chatterley révèle et démontre. Ce roman exprime à mon sens le mystère même de l'amour: au-delà du plaisir, deux corps unis, liés, mêlés (en l'occurrence, ceux de Constance et Oliver) peuvent aussi mener à un instant de grâce pure, celui où on ne fait plus qu'un avec la moindre cellule, la moindre vibration du monde. Comment dire? C'est un livre qui parvient à décrire la communion avec l'univers née de la texture d'une certaine peau ou du goût d'une certaine bouche, celle de l'être aimé. C'est la transfiguration de soi à cause des gestes d'une intimité inouïe qui nous ouvrent, littéralement, au monde. Ce roman, c'est vraiment le verbe fait chair et sensualité. Bref, c'est un livre qui ne parle pas d'amour: il le fait.

- Marie-Christine Blais

BELLE DU SEIGNEUR

Albert Cohen. Folio, 1968.


Un livre immense publié en 1968 et devenu un classique. Au coeur du roman: une histoire d'amour véritable mêlée à une caricature de la passion éternelle. La seconde finira par étrangler la première. On voudrait secouer les personnages, les empêcher de tout ruiner au nom de théories cyniques ou fumeuses sur le désir et l'amour absolu. Le trop beau Solal, intelligent et influent sous-secrétaire de la Société des Nations, s'applique à séduire Ariane, la femme d'un de ses subalternes. Dans un long monologue, où il lui annonce qu'il la séduira avant l'aube, il démonte les manèges du «sale jeu de la séduction»: poésie, force, cruauté, vulnérabilité, mépris, compliments, sexualité indirecte, concurrence... Solal vénère les femmes, mais les méprise parce que, croit-il, elles ne l'aiment que pour sa beauté et sa puissance, qu'il assimile à la capacité de tuer. Parce qu'elles l'obligent à la méchanceté pour garder la passion vivante. La suite lui donnera raison. Elle, s'enfonçant dans une mise en scène idéalisée du couple «sublime». Lui, refusant de se montrer faible ou tendre par peur de la perdre, alors qu'il cherche avant tout la tendresse. On a dit que la morale était que le couple ne peut résister coupé de la société. Mais que serait-il arrivé s'ils avaient choisi de vivre un peu plus simplement? Pour se consoler, on relit les passages d'amour heureux, d'une très grande beauté. En parallèle, l'entre-deux-guerres, l'antisémitisme, les bouffonneries diplomatiques dépeintes avec une ironie féroce par Albert Cohen, qui a lui-même travaillé aux Nations unies.

- Marie-Claude Girard

L'ÎLE DES GAUCHERS

Alexandre Jardin. Folio, 1995.


Oubliez Cuba, la Guadeloupe ou toute autre île paradisiaque. En ce 23 décembre 1995, jour de mon 17e anniversaire, c'est dans l'île des Gauchers que j'aurais aimé m'échouer. Dès la lecture des premières lignes du roman signé Alexandre Jardin que j'ai reçu en cadeau de la part de ma marraine, j'avais la conviction qu'aucun homme ne pourrait plus jamais arriver à la cheville de Lord Cigogne. Cet homme au physique ingrat a réussi à conquérir une femme en la courtisant avec ses mots envoyés par lettre. Mais après quelques années de vie commune, conscient d'adorer sa femme Émily un peu maladroitement, Lord Cigogne s'investit d'une autre mission: convertir sa passion en amour. «Il se sentait prêt à répondre à toutes, oui, toutes ses demandes, même les plus muettes et les plus fantastiques. Les plus belles et les plus dégoûtantes, s'il y en avait. Toutes!» Pour y arriver, notre héros a donc amené sa tendre épouse dans l'île des Gauchers, là où l'on apprend à aimer. Tâche difficile. Chose certaine, nous sommes loin des resorts de Cuba...

- Nathaëlle Morissette

LE PARC AUX CERFS

Norman Mailer (traduction Claude Elsen). Collection 1018, 1956.


En lisant Le parc aux cerfs, j'ai pensé à cette boutade du comédien Artie Lange: «On a rompu pour des raisons religieuses; elle ne croyait pas que j'étais Dieu». Mailer y jette un regard cru, presque cruel sur les relations amoureuses viciées dans une communauté jet-set de Désert d'Or, genre d'Hollywood des années 50. Il décrit de façon implacable tout ce que ces relations comportent d'orgueil, de narcissisme, de solitude, de dépendance, mais aussi de tendresse, de passion et d'abandon. Malgré ses longueurs, Le parc aux cerfs est rempli de phrases déstabilisantes. «Toute ma vie, j'ai aimé des idées, dit le narrateur. C'est ainsi que j'ai aimé l'idée d'aimer ma femme.» On y retrouve le leitmotiv de Mailer: les gens sont difficiles à comprendre, l'amour aussi.

- Paul Journet

LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR

Colleen McCullough. Pocket, 1977.


C'est le Noël de mes 12 ans. Je suis en première secondaire, sans poitrine et loin de mesurer cinq pieds et neuf pouces. Je suis à table avec toute ma famille... Nous venons de terminer le plat principal et je me fous complètement du dessert, même si c'est le fameux gâteau moka de ma grand-mère. Je pense juste à me réfugier dans ma chambre pour replonger dans Les oiseaux se cachent pour mourir, saga romantico-familiale de l'auteur australienne Colleen McCullough. Un amour impossible entre un prêtre ambitieux et une jeune femme dans un ranch, ça ne pourrait pas être plus romantique. Le premier baiser dans le jardin - quand Ralph de Bricassart découvre que Meggy est devenue une jeune femme -, leurs retrouvailles des plus passionnées sur une île perdue et quand ils se revoient 20 ans plus tard à Drogheda: je pense que c'est avec Les oiseaux se cachent pour mourir que j'ai su c'est quoi avoir des papillons dans le ventre.

- Émilie Côté

JEANNE, FILLE DU ROY

Suzanne Martel. Fides, 1992.


Cela se passe quelque part au XVIIe siècle. Jeanne Chatel, orpheline, quitte la France, pour faire partie du premier contingent de ce qu'on appellera les «filles du Roy». Il s'agit de jeunes orphelines, qui, en échange d'une dot, sont appelées à «repeupler» la Nouvelle-France. La jeune femme, qu'on imagine tout de suite romantique, idéaliste même, débarque donc au pays pour épouser Simon de Rouville, un veuf, à qui elle se lie sans même avoir remarqué la couleur de ses yeux. Dure désillusion. Elle se retrouve donc dans une cabane en bois rond, avec un homme qu'elle n'a pas choisi, pour élever des enfants qui ne sont pas les siens, dans un pays froid et rigoureux qu'elle ne connaît pas. L'enfer. Pas tout à fait. Car l'héroïne est une fille forte, surprenante, courageuse, et surtout, très très attachante. Qui saura se faire aimer, quoi. Une intrigue à faire chavirer toutes les adolescentes qui sommeillent encore en nous.

- Silvia Galipeau