Dans son 30e ouvrage, le directeur littéraire de Québec Amérique retourne à Lascaux, en compagnie de personnages de son enfance.

Normand de Bellefeuille aime les grottes et autres lieux du genre. Petit, il se retirait déjà dans la cave de la maison familiale pour s'adonner, dira-t-il, au plaisir solitaire de la lecture. Regardez où ça l'a mené...

Vingt-cinq ans plus tard, en voyage en France, il pique une pointe jusqu'à Montignac dans le Périgord, pour visiter la grotte de Lascaux, la mère de toutes les grottes, avec ses peintures d'aurochs et de chevaux vieilles de 15 000 ans, Problème: la grotte est fermée au public... depuis 20 ans. De Bellefeuille rentre à Montréal, lit tout ce qu'il trouve sur Lascaux et l'art pariétal et écrit au ministère français de la Culture: il veut visiter la grotte en vue d'un livre prochain.

Sans nouvelles de Paris, il publie néanmoins en 1985 un livre intitulé Lascaux (Les Herbes Rouges): «genre hors-genres» pour les uns, exemple patent de «formalisme post-moderne» pour d'autres. Lascaux... Il apprend en 1988 qu'il pourra visiter la grotte mais il n'ira jamais. «Peut-être avais-je peur d'être déçu», nous disait l'écrivain cette semaine au cours d'une rencontre de presse pour souligner la sortie d'Un poker à Lascaux, son 30e titre.

Trente titres depuis le roman Monsieur Isaac, en 1973. «Comme Jean-Paul Dubois, je vois là davantage une pile qu'une oeuvre», lance le nouveau sexagénaire qui a remporté à peu près tout ce qui se donne comme prix de poésie dans le pays Québec, dont un prestigieux doublé -Prix de l'Académie des lettres du Québec et prix de poésie du Gouverneur général du Canada- en 2000 pour La Marche de l'aveugle sans son chien, le premier recueil qu'il a publié chez Québec Amérique.

Mais pour ce Lascaux deuxième façon, il a changé de genre... «Pendant 25 ans, j'ai su que j'avais là un vrai roman, mais, par pudeur, j'attendais pour l'écrire que les personnages soient morts...» Un «vrai roman»... Par opposition à un «roman de poète», tout en ellipses, dépouillé, que certains de ses amis avaient pu voir dans Nous mentons tous, sa dernière excursion dans le genre (1997). Notre distingué collègue Réginald Martel avait parlé, quant à lui, d'«un roman-roman, avec des personnages qui font des choses ou qui y songent».

Rita, Fleurette, Alice et Gabrielle aussi font des choses: elles jouent au poker «à la cenne» et économisent le petit change pour leur voyage à Lascaux. Et elles iront! «On est loin de la rue des Érables en calvaire!», dirait Fleurette dont l'auteur a dû «bémoliser» le langage tellement elle était mal engueulée, celle-là. Anyway, si tout avait marché comme il faut, le cheval chinois de Lascaux aurait entendu parler joual en avril 1963...

Cinq ans avant Les Belles-Soeurs... «Sur notre rue aussi les grosses femmes d'à côté étaient enceintes», dit de Bellefeuille en commentant l'allusion au roi du Plateau. «Quand j'ai lu ça, à l'époque, j'étais déchiré entre l'admiration et la colère. Tremblay, le criss! Il m'avait volé mon univers!»

Et Normand de Bellefeuille, exclu de son propre monde, s'est tourné vers la poésie. Jusqu'à ce que la mort redonne à ses personnages - sa mère, ses tantes - le droit d'exister dans un «vrai roman». Ou est-ce là un grand bluff de Normand de Bellefeuille, l'homme des cavernes?

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UN POKER À LASCAUX. Normand de Bellefeuille. Québec Amérique. 197 pages. 9,95 $.