«La littérature nous permet de parler de tout», fait valoir Jean-François Chassay, que je rencontre dans un café du quartier Villeray. Le protagoniste suicidaire de Sous pression est un physicien dans la fin de la quarantaine. Un Montréalais en manque d'amour et d'un motif pour continuer à vivre, qui s'est résolu à « tirer la plogue « sur sa triste existence de mort-vivant. « Il est trop rationnel, et cela ne lui suffit pas pour continuer «, observe Jean-François Chassay, non sans une pointe d'ironie qui trahit un penchant pour l'humour noir.

Auteur de plusieurs essais et textes critiques, prof d'études littéraires à l'UQAM et chercheur intéressé par le discours social et la figure du scientifique dans l'imaginaire - en mai dernier, il publiait Si la science m'était contée, sept portraits de grands scientifiques - Chassay transporte dans sa fiction ses intérêts théoriques.

Sous pression, son sixième ouvrage de fiction, lance quelques flèches critiques qui ne ratent pas leurs cibles. Ses personnages s'en prennent tout autant à l'inculture de leurs compatriotes québécois, leur pauvreté langagière qu'à la laideur de Montréal.

Avec une certaine légèreté cynique, l'auteur raconte les dernières heures d'un futur suicidé qui, dans un décompte fatal, croise dans divers lieux montréalais des proches qui se prononcent sur sa décision. Une suite de monologues d'individus qui, confrontés à leur inéluctable fatalité, révèlent leurs doutes et angoisses existentiels.

Le pari était risqué, de consacrer plus de 200 pages à un héros suicidaire, sans verser dans le pathos. Mais Chassay a eu l'heureuse idée de surtout donner la parole aux loquaces interlocuteurs du futur suicidé, tous enclin à exprimer tout le mal qu'ils pensent de ce morbide projet. Autrement dit, la mort imminente du physicien est surtout prétexte pour des logorrhées assez humoristiques chez les uns, à des confessions amusantes quoique désespérées chez les autres ou encore à des théories carrément délirantes sur le sens de la vie.

Dans tous les cas, le ludisme de l'écrivain l'emporte. «J'écris par nécessité, je ne connais pas l'angoisse de la page blanche. Dans la vie, j'ai besoin de balises: le weekend, par exemple, j'organise les repas pour la famille. Pour écrire, j'ai aussi besoin de m'imposer certaines règles. Dans Sous pression, je me suis imposé la contrainte d'inclure une référence à un peintre, à un musicien, à un plat, dans chaque chapitre», confie celui qui a fait son doctorat sur l'oeuvre de Georges Perec et ouvre ses pages à des personnages de ses romans précédents.

Cultive-toi, niaiseux!

Traversant Montréal d'Ahuntsic jusqu'au Vieux-Montréal, avec des escales dans un greasy spoon, chez Alep, chez Holder, à la Casa del Popolo, Sous pression est une visite non complaisante de la métropole. «J'aime beaucoup Montréal. Mais c'est comme ça avec ceux qu'on aime: on aime aussi leurs défauts», concède celui qui, dans Sous pression, écrit que Montréal est «la ville la plus laide du monde, mise à part Laval bien sûr, puisque Montréal a réussi à produire un clone encore plus hideux.»

Il y a aussi la culture - l'art visuel, la musique, les films, la bouffe - qui habite ce récit où le physicien suicidaire se fait dire «Cultive-toi un peu avant de mourir, niaiseux.»

«Le physicien est une sorte de centre vide, qui reçoit les réactions émotives des gens qu'il consulte. La littérature permet de poser des questions comme» puisqu'on va tous mourir, pourquoi devancer la mort? «Dans Sous pression, j'ai essayé de faire vivre l'entre-deux, en créant un personnage principal qui était déjà mort.»

Au final, le langage triomphe dans ce roman qui ne manque pas d'égratigner la pauvreté intellectuelle d'un peuple où le taux de suicide est parmi les plus élevés au monde («Disent n'importe quoi, sans s'en rendre compte. Des mots, des mots. Une chaîne cause chaotique, burlesque, infantile.») Cette même patrie où plusieurs, et pas les moindres (il rappelle Hubert Aquin, Dédé Fortin) périssent au combat.

Les mots, le langage, la science. Jean-François n'a pas fini d'investiguer ces vastes territoires. Il se dit fasciné par notre époque où la science est arrivée à un stade où les mots n'arrivent plus à expliquer le réel. Et entend prochainement se pencher sur l'autisme, fasciné par le rapport particulier de ces personnes avec le langage et le réel. «De plus en plus, je m'intéresse à la génétique, sa fragilité et les hasards de la vie, qui font que l'on soit nés ici, alors que d'autres sont sous les décombres en Haïti.»

Quand le sens manque à l'appel, il y a la littérature. Et la culture.

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Sous pression. Éditions du Boréal. 225 pages