La romancière Herta Müller a expliqué lundi à Stockholm, trois jours avant de recevoir le prix Nobel de littérature, comment, confrontée à la peur de la mort sous le régime communiste en Roumanie, elle s'était réfugiée dans la littérature avec «une soif de vie, une soif de mots».

«Face à la peur de la mort, ma réaction fut une soif de vie. Une soif de mots. Seul le tourbillon des mots parvenait à formuler mon état», a raconté Herta Müller pendant la traditionnelle lecture précédant la cérémonie officielle de remise du prix Nobel, prévue jeudi à Stockholm.

Sous les dorures de l'Académie Nobel, juste à côté du palais royal, la romancière toute de noir vêtue a lu en allemand pour un parterre de privilégiés un texte résumant l'oeuvre d'une vie, qui lui a valu l'une des plus prestigieuses récompenses internationales.

Dans ce texte intitulé «Chaque mot en sait long sur le cercle vicieux», Herta Müller est revenue sur les brimades d'un régime, qui l'ont conduite à s'exiler en Allemagne et qui ont fait naître en elle cette nécessité vitale d'écrire.

«On peut le croire, mais pas le dire. Et ce qui est impossible à dire peut s'écrire, puisque l'écriture est un acte muet, un travail partant de la tête pour aller vers la main, en évitant la bouche. Sous la dictature, j'ai beaucoup parlé, surtout parce que j'avais décidé de ne pas claironner. Mes paroles ont presque toujours eu des conséquences insoutenables. Mais l'écriture a commencé par le silence, dans cet escalier d'usine où, livrée à moi-même, j'ai dû tirer de moi davantage que la parole ne le permettait. La parole ne pouvait plus exprimer ce qui se passait», a déclamé la romancière.

Pour elle, «dans l'écriture, il ne saurait être question de confiance, mais plutôt d'une franche tromperie».

Dans une scène vécue qui a certainement nourri son roman La convocation, elle a raconté lundi comment «un colosse des services secrets» avait fait basculer sa vie.

«Il hurla: écrivez! Debout, j'écrivis sous sa dictée mon nom, ma date de naissance et mon adresse. Puis: quel que soit le degré de proximité ou de parenté, je ne dirai à personne que je ... et voici l'affreux mot roumain: «collaborez», que je collabore. Ce mot, je ne l'écrivis pas».

Ce texte écrit pour la lecture a été traduit pour l'Académie Nobel par Claire de Oliveira, traductrice de l'oeuvre de Müller pour son édition française.