Très exactement 25 ans après la publication de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, son premier roman, Dany Laferrière a raflé hier le Médicis, à la grande joie de ceux qui se souviennent de quelle formidable façon il a su devenir un personnage à part entière du Québec d'aujourd'hui.

«Moi, ce que je trouve extraordinaire, c'est que ce prix lui arrive pour un livre qui est d'une telle qualité, lance Pascal Assathiany, directeur général du Boréal, au bout du fil, dans la cohue parisienne. Dès que j'ai lu L'énigme du retour en manuscrit, j'ai su que c'était une réussite totale. Parfois, certains livres dérivent de leur trajectoire, mais ce livre-là est né sous une bonne étoile.»

Le Médicis fait bien sûr plaisir à l'éditeur québécois. «Avant ce prix, il était déjà très connu des milieux littéraires français; cela va lui apporter surtout beaucoup de nouveaux lecteurs», dit Pascal Assathiany, qui fait remarquer que Dany Laferrière vient briser un peu la domination culturelle des femmes parmi les écrivains de chez nous primés en France.

En effet, les écrivains québécois ou canadiens qui ont reçu l'un des prestigieux prix littéraires français sont non seulement peu nombreux, mais ce sont toutes des «écrivaines»: Femina en 1947 à Gabrielle Roy pour Bonheur d'occasion, Médicis à Marie-Claire Blais en 1966 pour Une saison dans la vie d'Emmanuel, Goncourt en 1979 à Antonine Maillet pour Pélagie-la-Charette, Femina en 1982 à Anne Hébert pour Les fous de Bassan et Femina à Nancy Huston en 2006 pour Lignes de faille. Hubert Aquin et Réjean Ducharme se sont approchés des honneurs sans jamais pouvoir les toucher...

Ce qui fait encore plus plaisir à Victor-Lévy Beaulieu, qui accompagnera Dany Laferrière en Haïti en janvier et qui, d'ailleurs, apparaît dans L'énigme du retour, c'est que l'auteur ici primé soit contemporain. «Les Français ont eu tendance à récompenser des auteurs québécois qui parlaient du passé, à la limite du folklorique. C'est l'oeuvre la plus achevée de Dany, qui résume tous ses autres livres dans une grande concision, et dans un genre entre la poésie et la prose. Je trouve ça fin de la part du jury du Médicis, qui est plutôt conservateur au niveau de la forme.»

Pour VLB, Dany a prolongé la modernité du roman québécois. «Il a consolidé fortement ce qui a commencé avec des écrivains comme Réjean Ducharme, tout en ayant l'avantage d'être né ailleurs, ce qui lui a permis d'intégrer un autre point de vue. Il a réussi à intégrer dans son oeuvre sa culture d'immigré à sa culture québécoise, ce que personne n'avait réussi.»

Ce que confirme le critique Réginald Martel, qui a été parmi les premiers à commenter son oeuvre. «C'est un témoin de l'extérieur, mais il est en même temps tellement bien intégré à nous, c'est un enrichissement. Des gens comme Dany, Naïm Kattan ou Jacques Folch-Ribas font partie de ceux qui nous ont déniaisés. Je pense que c'est un encouragement pour un tas d'autres écrivains d'origines étrangères.»

«La littérature québécoise avait eu sa passe nationaliste, il est arrivé comme un vent d'air frais, se souvient le critique Robert Lévesque. C'était un étranger, mais il s'est parfaitement glissé dans notre univers parce qu'il voulait y entrer. Ici, ce prix n'ajoutera rien à sa gloire locale, on le connaît sous toutes ses coutures, mais ça va beaucoup l'aider en France! Il me disait tout le temps qu'il devait écrire un livre sur son père. C'est le livre qu'il retenait, qui l'a ramené à la littérature.»

«Tous ses collègues québécois, haïtiens et japonais vont être fiers de lui, lance en riant Stanley Péan, qui a bien connu l'écrivain à ses débuts, et qu'il a considéré comme un grand frère lorsqu'il est arrivé à Montréal. Je suis très content, c'est un de ses meilleurs livres, plus personnel, plus grave, avec un plus grand investissement émotif, et qui correspond tout à fait aux questionnements du XXIe siècle. Je suis heureux que l'écrivain qui se disait fatigué ait continué à écrire!»

Marie-France Bazzo, qui a longtemps travaillé avec lui, raconte qu'elle a été peinée de le perdre comme chroniqueur à Bazzo.tv, mais qu'elle s'est réjouie comme lectrice que Dany Laferrière retourne à l'écriture. «C'est vraiment un de ses meilleurs romans, celui qui vient boucler la boucle, qui ouvre de nouveaux horizons. J'ai été bouleversée, je l'ai lu comme si je ne connaissais pas Dany. Ce livre, il le portait en lui, il en parlait beaucoup et quand il est parti, je lui ai dit qu'il prenait la bonne décision. L'essentiel, pour lui, c'était d'écrire.»

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Dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire, on présentera en primeur le film La dérive douce d'un enfant de Petit-Goâve, de Pedro Ruiz, le 15 novembre à 14 h 30 à la Grande Bibliothèque, en présence de l'écrivain et du cinéaste.