Le cinéma fait des yeux doux à Dany Laferrière, qui lui rend l'oeillade. Pas très longtemps après Le Goût des jeunes filles, de John L'Écuyer et Comment conquérir l'Amérique en une nuit (qu'il a lui-même réalisé), un autre film inspiré de son oeuvre littéraire, Vers le sud, de Laurent Cantet, vient de prendre l'affiche. Pendant ce temps, Dany Laferrière a réalisé Vite, je n'ai pas que ça à faire!, un projet «maison», avec très peu de moyens, juste pour prouver qu'il est possible de faire du cinéma sans argent!

Comment expliquez-vous que votre oeuvre soit de plus en plus adaptée au cinéma?Peut-être que les cinéastes commencent à voir qu'il y a des films dans mes livres. En fait, j'ai toujours voulu faire du cinéma et j'ai compris très tôt qu'on n'avait pas besoin de tout l'appareillage pour en faire dans les romans.

Vers le sudest inspiré des nouvelles de La Chair du maître. De voir Charlotte Rampling, Karen Young et Louise Portal incarner vos personnages, qu'est-ce que ça vous fait?

Ce sont trois femmes que je trouve très bien! J'ai eu l'idée de cette histoire à Paris, dans une chambre d'hôtel, il y a 15 ans. Brusquement, de voir les personnages prendre chair, ça fait comme un choc. Si ça avait été tiré d'un grand roman très vaste, on aurait pu comprendre, mais c'est une nouvelle. Disons que c'est une joie qui s'ajoute à cet après-midi d'il y a 15 ans.

Vous avez paraît-il réalisé un film intitulé Vite, je n'ai pas que ça à faire!, dans lequel les acteurs ont dû payer pour jouer. Est-ce qu'on le verra bientôt?

C'est le genre de truc qu'il faut attendre.... C'est juste pour m'amuser, je ne voudrais pas en faire tout un plat. L'idée de départ est l'argent.

Pourquoi l'argent a pris tellement d'importance dans le cinéma?

Pour moi, un art n'existe que si on peut le pratiquer sans argent. C'est la question que je pose au cinéma. Le mérite de mon film, c'est que je peux le garder dans mon tiroir, comme un roman, si je ne le trouve pas à mon goût. C'est quelque chose dont je peux être juge. Le cinéma est devenu tellement cher que si on fait un film, on ne peut en dire que du bien, même si on ne le pense pas. L'art qui produit des plaintes concernant l'argent est un art à questionner.

C'est une plainte commerciale d'un type qui n'a pas de sous et qui ne parle que de sous...

En ce moment, outre la question de l'argent, qu'apprenez-vous de plus important du cinéma?

Qu'il ne faut pas en avoir peur. On en a peur parce qu'on pense que c'est un art bourgeois comme le golf et qu'on n'aura jamais le matériel ou le style qu'il faut. J'essaie d'arriver à faire un film comme j'écris mes livres, comme lorsque je me suis levé un matin, que j'ai pris ma machine à écrire et que j'ai écrit Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer. Ce n'est pas que c'est facile; la question de l'art n'est jamais de savoir si on peut le faire ou pas mais si on en a le droit.

Faudra-t-il un jour vous définir plus comme un cinéaste que comme un écrivain?

L'idéal serait d'écrire Dany Laferrière, tout simplement. Je marche et je me retourne après pour effacer mes traces. Il faut devenir L'Homme sans qualités, de Robert Musil, un titre magnifique mais un livre que je n'ai pas encore lu, car il faut à mon avis attendre d'être au sanatorium pour le lire (rires).