Sur le front des prix littéraires en France, on se souviendra de 2009 comme d'une année sans histoire. Pas la moindre polémique sur les soi-disant «magouilles d'éditeurs» entourant l'attribution du Goncourt, comme si tout le monde était une fois pour toutes résigné à ce système unique au monde.

Presque pas de surprise ou de suspense. La seule surprise, en fait, tiendrait plutôt au fait que tout s'est déroulé conformément aux prévisions. À 42 ans, auteur d'une vingtaine de titres, dont la plupart aux exigeantes éditions de Minuit, qui l'avaient découverte à l'âge de 17 ans, Marie N'Diaye apparaissait au début du mois de septembre, comme la figure dominante de la rentrée. Lors du traditionnel déjeuner des jurés chez Drouant, elle a obtenu le Goncourt pour Trois femmes puissantes (Gallimard) dès le premier tour de scrutin par cinq voix contre deux à Jean-Philippe Toussaint (La vérité sur Marie, Éditions de Minuit) et une à Delphine de Vigan pour Les heures souterraines (Lattès).

Romancière précoce et virtuose sans concession, Marie N'Diaye a mené depuis 25 ans une brillante «carrière» tout en se tenant à l'écart des médias et des mondanités littéraires. Ce qui semblait la condamner à des tirages modestes. Or, cela ne l'a pas empêchée d'être le premier auteur vivant à entrer au répertoire de la Comédie Française, en 2003, pour Papa doit manger. Tout naturellement, elle avait été couronnée en 2001 par le jury Femina pour Rosie Carpe. Ce prix majeur, vieux de huit ans, aurait pu constituer le principal obstacle sur le chemin du Goncourt. Mais les académiciens de chez Drouant ont depuis plusieurs années l'habitude de ne pas se préoccuper des autres prix littéraires quand ils font leur choix. On a ainsi vu des romanciers cumuler le Goncourt avec le Grand Prix de l'Académie française ou le Médicis.

Avec Marie N'Diaye, le jury Goncourt a récompensé non seulement un très grand roman littéraire, mais une personnalité exceptionnelle et qui a une oeuvre imposante derrière elle. Pur écrivain, la Franco-Sénégalaise née à Pithiviers, aujourd'hui installée à Berlin avec sa famille («c'est grâce au Femina», dit-elle), a eu la courtoisie d'apparaître chez Drouant pour rencontrer les médias, À qui elle n'avait pas grand-chose à dire: «Je considère ce prix comme une récompense pour 25 années de travail. Je suis heureuse de le recevoir en tant que femme, bien sûr... Un message dans ce roman? Non, vraiment je ne vois pas...»



Une vedette pour le Renaudot

Le lauréat du Renaudot pour Un roman français (Grasset), Frédéric Beigbeder, se situe aux antipodes de Marie N'Diaye. C'est une vedette médiatique depuis une bonne quinzaine d'années, et un habitué des rubriques people. Plusieurs de ses romans précédents ont été de gigantesques best-sellers (entre autres 99 francs, satire du monde de la pub). Donné dès le départ favori pour le Renaudot, il aurait pu être pénalisé par sa réputation de mondain. Mais ce dernier roman - autobiographique -, d'abord inspiré par une garde à vue de 36 heures pour consommation de cocaïne sur la voie publique, a été de toute part considéré comme son ouvrage le plus personnel et sincère.

Cela ne l'a pas empêché le lauréat, nettement plus bavard que «la» Goncourt, de se livrer à quelques plaisanteries: «Je dédie ce prix à la police du VIIIe arrondissement et au procureur de Paris, Jean-Claude Marin, sans qui ce livre n'aurait pas vu le jour. Le prix Renaudot est nettement plus euphorisant que la drogue. Je le recommande à tous les jeunes.»

Le grand perdant de cette saison 2009, sauf coup de théâtre, est Laurent Mauvignier, qui, bien que classé parmi les favoris en septembre, n'a obtenu aucune voix lundi au Goncourt et a été éliminé de la liste finale du Femina. Cette élimination pourrait, a priori, être favorable à Dany Laferrière, encore présent sur les listes du Médicis (proclamation jeudi) et du Femina (annoncé lundi prochain). Mais l'attribution du Renaudot à un auteur Grasset constituerait un handicap fort sérieux pour l'auteur de L'énigme du retour. Et, au Femina, la rumeur fait du roman Jan Karski le grand favori...

Photo: AP

Le dernier roman de Frédéric Beigbeder a été de toute part considéré comme son ouvrage le plus personnel et sincère.