Un roman surprenant fait mentir ceux qui taxent les jeunes auteurs québécois de nombrilisme. Traductrice littéraire et directrice de la collection Compacts classiques chez Boréal, Dominique Fortier a pris le beau risque de s'inspirer pour son premier roman de la dernière expédition du Britannique John Franklin, parti à la conquête du passage du Nord-Ouest en 1845. La conquête, devenue mythique au Canada anglais, demeurait inexplorée par les auteurs québécois.

Qu'à cela ne tienne! Dominique Fortier voulait une bonne histoire et fut frappée par un documentaire sur le sujet, plus particulièrement par l'image des marins quittant les navires, après trois ans passés dans les glaces, tirant des chaloupes pleines d'un attirail incongru: boutons de manchette et linges pour polir l'argenterie. «Affamés, sans aucun espoir, ils traînaient quand même toute l'Angleterre sur leur dos. Ça explique à la fois leur entreprise, leur échec, leur arrogance, tout était là», souligne l'auteure.Du bon usage des étoiles prend donc son origine dans un événement historique à mille lieues de la réalité de l'auteure. «J'ai lu quelques récits d'explorateurs victoriens, mais surtout des textes scientifiques et philosophiques de l'époque pour me mettre dans la peau de ces gens-là. Je voulais voir le paysage par leurs yeux, ne pas être conditionnée par ce que nous savons», raconte Dominique Fortier, qui cerne l'esprit du XIXe siècle, avide de connaissances, mais aussi limité par une science encore expérimentale. Le débat sur la possibilité de congeler l'eau-de-mer paraît ridicule aujourd'hui, note-t-elle, mais la vie de centaines de personnes reposait sur cette question. «Il y a un désir de modernité chez les gens de cette époque qui croient que la science va résoudre tous leurs problèmes. C'est aussi l'époque des dernières grandes découvertes, des dernières conquêtes terrestres.»

Bien documentée, l'auteure a également donné libre cours à son imagination fertile. À travers le journal fictif du commandant Francis Crozier, elle saisit la sensibilité et la psychologie de l'époque. «Ça a été difficile de me glisser dans la peau des explorateurs: ces hommes victoriens sont loin de moi», explique-t-elle. En guise de répit, elle fournit un contrepoint à l'histoire tragique de ces hommes qui vont vers la mort : la vie mondaine des femmes de marins à Londres, décrite avec une délicieuse ironie. «Quand on met deux contraires en présence l'un de l'autre, il apparaît des choses qu'on ne verrait pas si on les considérait séparément. Le choc est intéressant.» À cela s'ajoute l'opposition entre Franklin, médiocre et arrogant, et Crozier, plus profond et lucide. «Je ne voulais pas que Franklin soit mon personnage principal. J'ai été chercher son second, Crozier, qui n'est pas follement optimiste, mais plutôt dépressif et plein de doutes. En face de Crozier, Franklin apparaît encore plus déconnecté.»

Artefacts

Porté par une plume classique, Du bon usage des étoiles tire son originalité de sa forme fragmentée. À la narration polyphonique s'ajoutent d'amusants artefacts greffés au roman: une partition de musique, un traité sur le magnétisme, une pièce de théâtre, une recette de plum pudding. «J'ai choisi une écriture morcelée qui m'a permis d'intégrer plusieurs fragments qui donnent une consistance au roman, parce que ce sont des choses qui existent en dehors du livre.»

Dominique Fortier entre dans la littérature avec un sujet éloigné de sa réalité. Pourtant, elle semble s'être trouvée auprès des aventuriers des glaces et des Anglaises dissertant autour d'une tasse de thé. Le choc des contraires provoque parfois des rencontres fécondes : l'éveil de zones insoupçonnées de l'imaginaire.

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Du bon usage des étoiles. Dominique Fortier. Alto, 356 pages, 24,95 $.