Exclusif : Transcription d'une entrevue de Patrick Poivre d'Arvor réalisée avec Nelly Arcan en mai dernier dans le cadre du documentaire Horizons lointains. Le documentaire a été diffusé sur la chaîne européenne ARTE le 17 septembre dernier.

PPDA : La sexualité est un thème récurrent chez les jeunes femmes auteurs. La sexualité, bien sûr l'arbre qui cache la forêt des relations entre les hommes et les femmes. Nelly Arcan offre une image intensément moderne sur cette question. Courageusement, elle propose une représentation nouvelle de la différence des sexes. À 38 ans, après ses sulfureuses oeuvres comme Putain puis Folle, Nelly Arcan s'éloigne de la prostitution sans oublier son thème principal, le commerce du corps des femmes. Dans À ciel ouvert, elle s'interroge sur le désir de l'homme pour le corps de la femme.

NELLY ARCAN : Pourquoi est-ce que mes livres sont très provocateurs? Je ne le sais pas. Ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi. Ce qui est important pour moi c'est de refléter le monde d'aujourd'hui, et si on trouve mes livres provocateurs, c'est que, probablement, le monde dans lequel on vit est très provocateur, à certains égards. On vit dans un monde très hygiénique, très «politicaly correct», très propre. Mais il est par ailleurs extrêmement violent, déshumanisant aussi, à certains égards. Dans le commerce des corps par exemple, dans la manière de survaloriser l'image par rapport au reste. Et dans ma manière d'écrire, je provoque, mais ce n'est pas une provocation qui vise à choquer les gens, mais plutôt à leur montrer dans quel monde on vit.

PPDA : Et quelles sont les obsessions sui vous font écrire?

NELLY ARCAN : Le sentiment d'une immense injustice entre les hommes et les femmes, du fait que les femmes, a priori, leur valeur se définit par rapport à leur jeunesse et à leur beauté. Mais j'ai l'impression que c'est beaucoup de travail d'être une femme. Beaucoup de travail sur le corps. Et je trouve ça un peu révoltant d'être un corps. Parce que c'est un peu le constat qu'on peut avoir sur la manière, par exemple, dont les hommes vont amener les femmes dans leurs films, dans leurs discours et c'est toujours, un peu comme le dit Virginie Despentes, ils vont toujours représenter les femmes qu'ils veulent baiser. Comme si les hommes n'existaient pas, comme si les hommes n'avaient pas de poids dans leur imaginaire. Et c'est comme si les femmes, malgré elles, ont pris le relais pour incarner cette femme baisable là. Et ça, ça faisait partie de mes obsessions, et ça reste encore présent aujourd'hui. Mais ça me dérange moins qu'avant.

LECTURE À CIEL OUVERT DE NELLY ARCAN : Les femmes ne voient rien, que ce que veulent les hommes, ne pensent rien, que ce que veulent les hommes, voilà quelles étaient les convictions de Rose. Les femmes ne se voyaient pas entre elles mais pour Rose c'était le contraire, elle les voyait trop, pour elle chaque existence de femme était à questionner, et elle était convaincue que toutes les femmes payaient, c'était forcé, empirique, non sujet à interprétations, d'être trop nombreuses par rapport aux hommes. Et une femme n'était pas nécessairement une femme. Une femme était tout être qui donnait son sexe aux hommes, qui cherchait à rencontrer celui des hommes, un homme pouvait donc aussi bien être une femme dans la définition de Rose, à condition que cet homme bande pour les hommes. Pour elle le genre ne se définissait pas par le sexe d'un être donné mais par celui de l'autre, celui dont on rêvait et sur qui on bavait, sur qui on laissait un peu de soi même, avec un peu de chance. Les gens étaient peu nombreux à le penser, à le savoir, croyait Rose.