Il dit qu'il ne se souvient de rien de son enfance... Un trou noir, de 1965 à 1980. Et, tout de go, il nous raconte la seule image qui demeure de sa jeunesse: à Cénitz, sur la plage de Guéthary (Pays basque) avec un grand-père qui se nomme le comte Pierre de Chastaignier de la Rocheposay (Voui, madame, voui)...

Puis, il nous entraîne à Paris, où il fut arrêté avenue Monceau, au sortir d'une boîte de nuit: vodka, cocaïne sifflée sur le capot d'une voiture. Il était avec un ami qu'il appelle le Poète (la conversation avec les flics est un régal). Il sera relâché au bout d'une heure. N'est-il pas un homme connu? Et l'aventure sera, le lendemain, racontée à la une du Monde.

Retour à Guéthary. Explication de la lignée des Chastaignier de la Rocheposay, qui remonte aux Croisades (ciel!). Notre homme descend de Hugues Capet, dit-il, «mais je suppose que nous sommes nombreux dans ce cas». Parcours à vitesse accélérée de cette famille ancienne, comptant un évêque de Poitiers et un abbé de Nanteuil, Anthoine (avec une hache) auquel Ronsard a dédié une ode. Ce qui nous amène au grand-père, qui emménage, avec sa femme et ses six enfants, à Guétary (nous y revoici), juste en face d'une famille Beigbeder. Les parents seront le fils des Beigbeder et la fille des voisins...

Revenons à notre poste de police. «Il suffit d'être en prison et l'enfance remonte à la surface» écrit-il, et il cite Françoise Sagan à qui l'on posait la même question, Pourquoi vous droguez-vous? Et qui répondit: «On se drogue parce que la vie est assommante, que les gens sont fatigants, qu'il n'y a plus tellement d'idées à défendre, qu'on manque d'entrain»...

Le flic à qui il parle est, heureusement pour les lecteurs, un vrai Navarro, moralisant, familial: «Que direz-vous quand votre fille en prendra à l'école?» Et cette conversation flic-Beigbeder, qui est un petit chef-d'oeuvre pour série politico-policière se terminera par:

- Je me demande tout de même comment vous allez faire pour écrire sur vos origines...

- Ah bon, et pourquoi ça?

- Bah, tout le monde le sait.

- Tout le monde sait quoi?

- Enfin, voyons, la coke fait perdre la mémoire.

Voici le lecteur revenu au point de départ. Ce livre serait le roman pour la liberté, le roman du mal de vivre à la Baudelaire, le roman de la douleur et de la révolte... Beigbeder s'enrôle lui-même, d'ailleurs, dans ce qu'il appelle le Cercle des Poètes Détenus: Villon, Marot, Cervantès, Casanova, Voltaire, Sade, Verlaine, Wilde ... Avec un culot que l'on ne peut avoir que devant un commissaire de police dont on est sûr qu'il va vous relâcher vite fait.

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UN ROMAN FRANÇAIS. Frédéric Beigbeder. Grasset, 282 pages, 29,95 $