Carlos Ruiz Zafón est un raz-de-marée sans précédent dans la littérature espagnole contemporaine. Depuis qu'il a publié, en 2001, L'ombre du vent (Éditions Grasset), un livre inclassable mêlant roman initiatique et thriller politique, réalisme magique et embardées fantastiques, ce Catalan, qui vit aujourd'hui à Los Angeles, est l'écrivain espagnol le plus lu depuis Cervantès.

Vendu à 10 millions d'exemplaires dans 50 pays, L'ombre du vent a subjugué les Espagnols à tel point que ces derniers ont inventé un mot pour résumer l'ampleur du maelström provoqué par ce livre au pays de Don Quichotte: la zafónmanie.

Le dernier cru littéraire de ce brillant romancier, Le jeu de l'ange, dont la traduction française vient de paraître aux Éditions Robert Laffont, est en voie de connaître aussi un succès mondial phénoménal - les droits de ce livre ont été vendus dans 60 pays.

Paru en Espagne au printemps 2008, ce roman baroque, à la lisière du fantastique et du gothique, qui nous convie cette fois-ci à une promenade hallucinée dans la Barcelone des années 20, s'est déjà vendu à un million et demi d'exemplaires. En Espagne, un million d'exemplaires ont été vendus en moins de 40 jours! Du jamais vu dans le monde de l'édition ibérique.

Après le succès retentissant de L'ombre du vent, l'écriture du Jeu de l'ange n'a pas dû être une sinécure... «Je ne vous cacherai pas que la pression était là», confie Carlos Ruiz Zafón au cours de l'entrevue exclusive qu'il a accordée à La Presse.

«Je l'ai surtout ressentie pendant l'écriture des derniers chapitres du livre. Mais, c'est moi qui me suis mis cette pression et non mes lecteurs ou les critiques littéraires. C'est une pression, par moments très lancinante, qui émanait uniquement du processus d'écriture et non de facteurs exogènes.

«Je suis ravi, et très privilégié, que des millions de lecteurs dans le monde aient lu L'ombre du vent. Mais le brouhaha, surtout médiatique, que le succès de ce livre a provoqué n'a rien à voir avec moi. Je ne me suis jamais pris au sérieux. Par contre, j'ai toujours pris mon travail littéraire très au sérieux! Des médias ont fait de moi un personnage public flamboyant, calculateur et hautain, aux antipodes de celui que je suis dans la vie de tous les jours.»

Le jeu de l'ange est le deuxième volet d'une imposante oeuvre de quelque 3000 pages, que l'auteur a scindée en quatre volumes, à la fois «interconnectés et indépendants», qui ne suivent pas l'ordre chronologique et peuvent se lire séparément. Ceux qui s'attendaient à lire la suite de L'ombre du vent seront «très déçus», prévient l'écrivain.

«Très nombreux sont mes lecteurs à m'avoir demandé d'écrire une suite à L'ombre du vent. Ça aurait été très condescendant de ma part d'exaucer ce voeu, répondant aussi à un impératif purement commercial. J'ai une autre conception de la littérature. Un roman qui a déjà été écrit, on ne peut plus le réécrire, ni lui donner une prolongation. Je voulais absolument sillonner de nouveaux chemins littéraires et créer d'autres personnages, ayant une personnalité et un ton différents, qui évolueraient aussi dans l'univers gothique et insaisissable de la Barcelone qui me fascine: une ville mythique regorgeant d'Histoire et d'histoires - avec un petit «h» - et non de touristes, comme c'est le cas aujourd'hui! Je voulais écrire cette fois-ci un récit plus complexe, plus faustien et plus sinistre que celui que j'ai relaté dans L'ombre du vent.»

Thriller fantastique

Le jeu de l'ange est un thriller fantastique très captivant parsemé d'érotisme et de mystères. Sexe, crime crapuleux, ésotérisme et tragédie dantesque s'entremêlent habilement durant toute l'histoire. Son héros s'appelle David Martin, un jeune écrivain perdu dans l'immensité de la Barcelone des années 20, une ville en pleine effervescence qui connaît une profonde mutation socioéconomique due à la révolution industrielle en cours.

Chaque semaine, il écrit pour quelques sous de courts récits dans un quotidien régional, La Voz de la Industria, jusqu'au jour où un mystérieux éditeur parisien, le fameux Andres Corelli, lui propose un contrat mirifique. À partir de là, sa vie bascule. On lui demande d'écrire un livre unique, qui ne ressemble en rien à ce qui a pu être écrit auparavant. David emménage dans une maison sépulcrale pleine de gargouilles et se met au travail «sous le ciel de feu» de Barcelone. Mais à mesure qu'il écrit ce livre, le malheur s'abat sur ceux qu'il aime... Aurait-il succombé à un Faust des temps modernes?

Les lecteurs de L'ombre du vent déambuleront à nouveau dans les dédales ombrageux et labyrinthiques du célèbre Cimetière des livres oubliés - «un lieu mythique et purement imaginaire», précise Carlos Ruiz Zafón à l'intention de ceux qui s'aventureraient à la recherche de cette nécropole lors d'un voyage à Barcelone... «Le jeu de l'ange se déroule dans un monde de miroirs, où personne ne peut réellement délimiter la frontière entre le réel et le surnaturel. Le Cimetière des livres oubliés, qui occupe aussi une place prépondérante dans ce roman, est un labyrinthe obscur aux différents niveaux de lecture, d'implication et d'interprétation. Je convie le lecteur à choisir le niveau qui lui conviendra le mieux. Certains y décrypteront une intrigue psychologique, alors que d'autres y verront un thriller fantastique, une fable faustienne...»

Carlos Ruiz Zafón est ravi que des millions de jeunes lisent ses livres.

«À une époque où les jeux vidéos et les jeux sur l'internet sont malheureusement indétrônables, c'est un vrai bonheur de voir des jeunes renouer avec la lecture. C'est le plus bel hommage qu'on puisse rendre à la littérature», lance-t-il avec un brin de fierté.

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LE JEU DE L'ANGE. Carlos Ruiz Zafón. Robert Laffont, 540 pages, 29,95 $