Un matin, Paul se réveille ankylosé. Ce n'est rien, lui apprend son médecin traitant. Des signes de rigidité cadavérique, sans plus. «Rien de majeur, un peu de repos et une infusion de racines de pissenlit.» Voilà l'ouverture de ce premier roman de Richard Dallaire, qui n'en finit pas de nous étonner par son acuité et sa maîtrise. Décrivant le train-train d'un homme qui traverse indifféremment les phases de sa propre décomposition, l'auteur livre ici une formidable allégorie de notre atavisme collectif.

Rappelant joyeusement le ton cinglant du Chant des mouches de Sébastien Chabot ou encore celui d'Olivier Choinière dans Venise-en-Québec, Dallaire situe lui aussi son action hors de l'urbanisme des villes, en deçà de l'autoroute, dans un marais boueux avalant goulûment le territoire un peu plus chaque jour. Outre Paul qui y tient maison tant bien que mal, on y trouve une saule pleureuse plongeant racines dans ses propres larmes et un gamin acceptant de vivre emprisonné dans ses tristes branches. L'univers décalé sert admirablement cette critique acerbe, la transposition offrant à la fois un point de vue intéressant et un monde fictif foisonnant où l'on doit frapper les livres au marteau pour qu'ils se tiennent tranquilles, où les enfants naissent sous les décombres et où «mourir est une question de survie».

Écorchant à la fois la complaisance, la manipulation, la possessivité et la passivité d'une civilisation témoin de son propre déclin, Dallaire offre ici une première oeuvre au champ lexical riche, qui pèche peut-être par un désir de clore sur un revirement de situation mais qui indique néanmoins qu'un nouvel auteur à suivre voit le jour...

Le Marais

Richard Dallaire

Sémaphore 152 pages, 17,95$

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