D'une révélation, voire d'une épiphanie - le «I» en anglais («je» en français) s'écrivant toujours en majuscule - Michel Brûlé élabore une théorie selon laquelle ce «I» hypertrophié vouerait «irrémédiablement» la langue anglaise à l'impérialisme et à l'ethnocentrisme. Et pourtant, dans ce livre de Michel Brûlé, aux Éditions Michel Brûlé, qui s'est payé une immense pub à l'entrée du pont Jacques-Cartier, son «je» à lui pullule partout comme référence et argument. Exemple: «À la lumière de ce que je connais de l'histoire de l'humanité, je suis en mesure de dire que les Anglais et les États-Unis sont les peuples les plus bornés et les plus ethnocentriques qui furent! Rien de moins!»

Rien de moins, en effet. Il nous enlève les mots de la bouche.

Michel Brûlé confond sûrement l'individualisme occidental, peut-être particulièrement exacerbé aux États-Unis, avec ce «I» dont il use pourtant à outrance en français, même si le «je» s'écrit en minuscules, sans jamais prendre conscience de l'énorme place qu'il prend dans son discours dénonçant l'Anglais, cet être inconscient de son arrogance parce que malade dans sa langue.

 

Ce qui est fascinant dans ce genre d'essai échevelé, qui part dans tous les sens, outre son enthousiasme - ça, on ne peut le lui reprocher - c'est la méthode. Nous sont balancés des statistiques, des résumés historiques, pigés ici et là dans d'autres essais ou des articles qu'on n'a pas lus, selon des études dont on ne peut mesurer l'importance; il est facile de se perdre pour le néophyte, et de se confirmer pour le converti. Il faut lire entre les lignes qu'il n'a pas écrites pour comprendre le message. Car Michel Brûlé va chercher à la rescousse une objectivité qu'il n'a manifestement pas.

Laideur

Rappelons qu'Anglaid, dans le jeu de mots du titre, veut prouver la laideur de la langue anglaise et, par ce fait même, la laideur de ceux qui la parlent. C'est écrit en toutes lettres: «L'anglais n'est pas une belle langue. Les États-Uniens et les Canadiens anglais le parlent comme un chien qui jappe, et les Britanniques, comme un serpent qui siffle.» Dans ce type de propagande haineuse par le passé, on a tenté de nous faire passer la laideur du Noir à sa couleur, la laideur du Juif à son nez et maintenant, ce serait la laideur de l'Anglo à sa langue? Mais existe-t-il vraiment une langue laide dans le monde? Sur quelles bases esthétiques est-ce prouvé?

Intrinsèquement mauvaise

Ce qu'il y a de fou dans la théorie de Michel Brûlé, c'est qu'il tente de démontrer que la langue anglaise serait intrinsèquement mauvaise - qu'elle contiendrait, dans ce «I», le germe du mal absolu, l'explication de sa domination actuelle et les abominations historiques qui ont été commises par ceux qui la parlent. Et on vous épargne les théories du complot disséminées ici et là (outre le 11 septembre, les États-Uniens auraient aussi mis la mélamine dans le lait des Chinois, tué Joplin et Hendrix...).

On atteint un sommet quand il parle de tabou chez les Anglos: «Ces tenants de la morale - ils le sont presque tous - ont toujours critiqué la liberté que je prenais de parler de sexe.» Puis il passe rapidement à ces viols collectifs qui semblent conclure les fêtes à l'Université McGill (?), où il a étudié. «Les femmes anglophones participent à cette morale hypocrite, et aucune d'elles n'osera dénoncer l'existence de viols collectifs sur les campus parce que ces actes barbares font partie de leur identité puritaine.» On se demande ce que les étudiantes en Herstory penseraient d'une ligne pareille... Et il en rajoute: «Lors d'une fête à McGill, la copine de mon amie m'a touché le pénis en plein centre de la piste de danse alors que son Jules était à deux mètres de nous. C'est alors que j'ai compris - je le savais déjà depuis mes premiers voyages - que ces gens-là étaient bizarres.» Qui est le puritain dans cette scène?

Ces élucubrations sont d'autant plus ahurissantes venant d'un homme qui se vante d'être polyglotte. Si Michel Brûlé tentait simplement de nous faire comprendre que la langue anglaise n'a pas le monopole de la signifiance du monde, que rien ne nous oblige à en faire l'espéranto moderne, on serait d'emblée d'accord, mais il rejoint trop rapidement le délire haineux et raciste pour avoir la moindre crédibilité.

Les raccourcis idéologiques d'Anglaid n'ont rien à envier à la dérive d'une Jan Wong qui voyait en la tuerie de Dawson une conséquence de la loi 101. Il y a là une même jouissance à vouloir trouver rapidement le coupable de nos complexes, de nos souffrances, de notre mal-être.

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Anglaid

Michel Brûlé

Michel Brûlé, 167 pages, 17,95$