L'univers romanesque de Margaret Atwood dépeint des mondes insolites, voire inquiétants, comme la société de La femme écarlate, sans doute son roman le plus connu en français. Les préoccupations philosophiques qui le nourrissent le sont tout autant, comme en témoigne son dernier essai Comptes et légendes (La dette et la face cachée de la richesse) qui vient de paraître aux Éditions du Boréal.

«L'argent est arrivé très tard dans l'histoire humaine et il avait pour but de rendre les échanges plus faciles», rappelle Margaret Atwood.

Tout au cours de l'entrevue accordée la semaine dernière dans le cadre d'un marathon de promotion, l'écrivaine ontarienne s'est exprimée posément, à la recherche du mot juste, de la tournure correcte en français, une langue qui a bercé une partie de son enfance au Témiscamingue, mais dont elle avoue ne pas maîtriser tous les ressorts.

Avec l'avènement des machines et des usines au XIXe siècle, l'argent s'est muté en capital qui a lui-même engendré le système financier qu'on connaît aujourd'hui. «C'est notre création qui a échappé à notre contrôle, comme le monstre du docteur Frankenstein. Au début, c'est bon et, après, ça va trop loin. Ça effraie.»

Elle le compare aussi à la légende de Midas, celui qui avait demandé aux dieux de transformer en or tout ce qu'il touchait. Midas ne pouvait plus ni manger ni boire et dut appeler au secours. Comme Wall Street.

Et d'ajouter sur la même lancée : «Le domaine financier, ce n'est pas un dieu. C'est une externalisation de ce que nous faisons naturellement. Nous sommes des animaux sociaux : nous échangeons.»

L'externalisation, c'est ce que les hommes ont développé pour pousser plus loin des comportements propres au règne animal. Comme le combat et la rivalité devenus guerre.

Le rapport à la nature

Ce qui effraye par-dessus tout la romancière-essayiste, ce n'est pas tant le système financier et les ploutocrates cupides qui en tirent les ficelles à qui elle semble vouer un sage mépris. Elle croit que le président américain Barack Obama parviendra à faire en sorte que l'argent circule à nouveau et joue son rôle de facilitateur des échanges.

Ce qui l'inquiète au plus haut point, c'est plutôt le rapport de l'économie à la nature de qui elle dépend complètement. «On ne crée pas de matière, on la transforme, nuance-t-elle. Il faut commencer à y penser. Oui, on peut transformer, mais avec modération.»

Bref, l'homme contracte une énorme dette envers la nature. Il faudra bien commencer à rembourser, sans quoi la créancière se fera menaçante.

Comme bien d'autres, Mme Atwood appréhende les changements climatiques même si le Canada paraît beaucoup plus fortuné que d'autres pays dans cette loterie qui change le cours des choses. «Notre chance, ce sont nos grandes forêts de conifères, mais c'est aussi notre grand danger, elles sont très inflammables.»

Suit un plaidoyer en faveur des transports en commun et des dirigeables qui dégagent moins de gaz à effet de serre, en faveur de l'approvisionnement alimentaire local, fût-il non bio.

Le roman mène à tout

Mme Atwood s'est intéressée de plus près à l'argent et son corollaire obligé, la dette, en étudiant la mécanique des romans où il apparaît souvent comme le moteur de l'histoire.

Dans son essai, elle cite Dickens, Elliot, Faust, Marlowe, Shakespeare, Thackeray, sans oublier des références à Flaubert ou Zola.

Ce qui mobilise son attention et forcément celle du lecteur, c'est le rapport entre le débiteur et son créancier, celui-ci réclamant au premier souvent plus que son dû, à un moment inopportun par-dessus le marché. Cela peut nourrir l'esprit de vengeance tant chez un que chez l'autre, selon la nature du contrat ou du gage.

Elle se penche par exemple sur la nature des pactes avec le diable, comme Faust avec Méphistophélès ou de façon plus métaphorique avec Shylock dans Le marchand de Venise.

En somme, la romancière n'est pas loin derrière l'essayiste. Comptes et légendes a été conçu pour produire une série de causeries, recyclées en émissions de radio où l'écrivaine s'est faite plus conteuse que conférencière.

En parallèle, elle écrivait le second volet de ce qui se veut une trilogie, amorcée avec Le dernier homme. The Year of the Flood (qu'on pourrait traduire par L'année des débordements) mettra en scène quelques personnages secondaires du roman précédent. Sa sortie en anglais est prévue pour la rentrée automnale.

«Plusieurs prédisent depuis longtemps la disparition des romans, dit-elle avec le sourire. Ils sont toujours là parce que nous sommes une espèce narrative.»