Chers lecteurs, faisons un saut dans le vide... En 1948, les tentatives d'établir l'État d'Israël ayant échoué, le peuple élu de Dieu (selon Dieu, pas selon le peuple lui-même), encore une fois sur le chemin de l'exil, se ramasse... où donc? Voyons, en Alaska, bien sûr! Dans le district de Sitka, parmi les Tlinglits, un nouveau Sion se crée dans un paysage tout à fait invraisemblable.

Voilà le coup d'envoi du dernier roman de Michael Chabon, qui a rêvé cette fiction historique singulière. Une fois qu'on accepte la prémisse du roman - il faut deux ou trois pages, pas plus -, on part dans un monde farfelu où corruption et piété marchent main dans la main. Notre guide dans cet univers parallèle s'appelle Meyer Landsman, un détective sorti des pages de Raymond Chandler, cynique, vulgaire, adepte de la bouteille, pas mal philosophe, et fraîchement séparé de sa femme, Bina, qui, à la suite d'un malin coup du hasard, devient sa patronne.

 

Le club des policiers yiddish est surtout un polar, un roman noir et un hommage à Chandler et aux autres grandes plumes du noir. Et qui dit polar dit cadavre. Le cadavre ne se fait pas attendre: dès les premières pages, Landsman est au travail au délabré hôtel Zamenhof, où un homme a été abattu d'une balle dans la nuque. La victime: un junkie, mais pas n'importe qui: c'est le fils du grand rabbin Shpilman, chef d'une secte très occupée à attendre le Messie. Et puisque le Messie, comme toujours, tarde à venir, cette secte de gangsters pieux désigne un des leurs comme le Messie: Mendel, le fils de Shpilman, celui qui gît, mort, dans les toilettes de sa chambre minable au Zamenhof.

Voilà le cadavre, mais Michael Chabon ne se contente pas d'un simple roman d'action. Il a créé toute une société peuplée de joueurs d'échecs, de buveurs, et de croyants qui se servent de l'Éternel pour faire avancer leurs affaires. Et il s'amuse à brouiller les cartes de l'identité: Berko, l'associé de Landsman, est moitié juif, moitié tlinglit. Le ton de Chabon a beau être humoristique, les sujets sont sérieux. L'appel du Messie, l'existence d'une nation juive, la foi et la violence - l'auteur passe un maximum de stock sous le couvert d'un polar. En ce faisant, il fait naître un patois propre aux Juifs du district de Sitka, un mélange de yiddish, de russe et d'allemand, le tout lié à la sauce Chabon. Heureusement, l'éditeur a pensé à ajouter un glossaire à la fin du roman.

Roman-labyrinthe, la force du Club des policiers yiddish se trouve dans ses digressions et ses méandres. Et dans l'imagination foisonnante de son auteur, qui réussit à faire d'un roman à cadavres un traité théologique.

______________________________

Le club des policiers yiddish

Michael Chabon, traduit par Isabelle D. Philippe Laffont, 482 pages, 34.95$.

****