Julie Mazzieri, avec Le discours sur la tombe de l'idiot, fait une entrée en littérature qui n'est pas banale. Voilà un polar qui n'en est pas un puisque dès les premières pages on saura tout du meurtre: qui est mort, qui a tué, quand, comment, pourquoi (quoique le pourquoi soit toujours une donnée aléatoire...), c'est l'idiot du village jeté dans un puits par le maire et son adjoint. Voilà aussi ce que l'on appelait jadis «un roman du terroir», mais là non plus ce n'en est pas un, car je défie quiconque l'aura lu de me dire dans quel coin de pays ce roman se déroule. Fichtre!

De plus, cette Julie Mazzieri, indique-t-on, est née au Québec en 1975 et vit en Corse. Aurait-elle, comme au shaker, mélangé du village gaspésien avec du hameau de la région de Sartène? Peut-être bien, mais l'essentiel, sa réussite, c'est qu'on s'en fout un peu, et de qui a tué et du coin du crime; ce n'est pas de l'authenticité qui traverse les pages de ce roman, c'est de l'écriture sinueuse qui évite les pièges des deux genres, la superficialité et le mélodrame. Du polar sans suspense, du terroir sans régionalisme. Faut le faire!

 

Ce qui a intéressé l'auteure dans son ouvrage, et ce qui captive le lecteur, c'est la progression dans la conscience des villageois du contrecoup de ce meurtre (mais est-il vraiment mort, ce demeuré que l'on a jeté vivant dans ce puits, qu'on aurait entendu hurler une nuit?), un contrecoup qui lèvera comme des lapins la suspicion, le doute, le préjugé, le ragot et qui, pour les deux coupables, alimentera leur bataille sournoise pour qu'un coupable apparaisse sans qu'on le désigne vraiment. Travail souterrain, terroir de culpabilité. Bien des doutes iront vers l'étranger, un garçon de ferme venu d'ailleurs. Mais il n'y a pas de vendetta. Est-on en Corse, oui ou non?

Le village s'appelle Chester, ce qui fait Angleterre. Plusieurs paysans ont des noms bien de chez nous, Roch Blais, Clément Gagnon, Isabelle Desmarais; mais il y a aussi un Simeoni qui est berger et la place du village ne correspond pas à la topographie nord-américaine. Bref, à ces incohérences s'ajoute une temporalité non chronologique avec des retours du meurtre et du refoulé. C'est sans doute cette fine observation d'une machine à fabriquer du coupable qui a retenu l'attention de l'éditeur.

Et là non plus ce n'est pas banal, car ce premier roman de Mazzieri paraît chez José Corti, le regretté Corse de la rue de Médicis, l'éditeur de Julien Gracq, dont la devise affichée est «rien de commun». Y aurait-il une filière corse derrière cela que nous ne pourrions que nous en réjouir.

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Le Discours sur la tombe de l'idiot

Julie Mazzieri, José Corti, 245 pages, 29,95$

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