Quand Neil Armstrong a marché sur la Lune, le 20 juillet 1969, un milliard de téléspectateurs ont entendu ses premiers mots: «C'est un petit pas pour l'homme mais un grand pas pour l'humanité.»

Sur la Terre, pendant ce temps, les incidents du Stonewall Inn, dans Greenwich Village, marquent le début du combat pour les gay rights. Au Canada, le projet de loi omnibus de Pierre Elliott Trudeau décriminalise l'homosexualité et l'avortement (thérapeutique). Pendant qu'à New York le groupe féministe radical Redstockins - d'aucuns se souviendront du Bitch Manifesto - sème la pagaille dans des audiences sur l'avortement où comparaissent 14 hommes et une religieuse, Golda Meir est la première femme à se faire élire premier ministre d'Israël.

 

Quand Armstrong fait son «petit pas», l'apartheid a toujours cours en Afrique du Sud et, ici, dans ce Québec de moins en moins tranquille, le principe de l'incapacité juridique de la femme mariée a été aboli depuis moins de cinq ans.

Le principe d'égalité est à la base de la démocratie, mais son application est toujours en retard sur le régime. Que trouve-t-on, 40 ans plus tard, dans Ce petit pas pour la femme d'Alain Cognard, lancé jeudi chez Michel Brûlé?

«Nous avons tout essayé sauf la manière féminine», écrit ce Québécois d'origine française qui a déjà signé en 2003 La Belle Province des satisfaits (VLB Éditeur). Et cette «quête démocratique effrénée», qu'il dit observer dans l'ensemble de la planète, n'atteindra sa juste fin que lorsque les femmes pourront jouer, à leur manière, le rôle de citoyennes à part entière.

Cela, toutefois, ne se produira pas avant que le principe d'égalité, au-delà des droits et des chartes, ne s'incarne quotidiennement dans tous les aspects de la vie communautaire. La «refondation» - buzz! - de la société sur de nouvelles bases paritaires exige toutefois «un changement de mentalité majeur» qui, souligne euphémiquement l'auteur, «ne fait pas l'objet d'un consensus parmi les gouvernants».

Comme bien d'autres, Alain Cognard «rêve d'un empire planétaire du bonheur» que les femmes, plus portées sur l'écoute et le partage, sont à même de faire naître. Disons que l'idée n'est pas neuve... Mais entretemps, «il faut que chacun retrouve cette conscience de jouer un rôle, si essentielle à la vie démocratique»...

Mais pour «retrouver» cette conscience, ne faut-il pas l'avoir déjà eue? C'est-à-dire avoir vécu dans un système qui en favorisait l'émergence, ce qui n'est pas le cas de beaucoup de monde. Même dans ce que l'auteur appelle «nos sociétés».

«L'égalité est une nécessité»; sa recherche se pose comme «une évidence». «Une société sans égalité est une société stupide, sans avenir», lit-on encore dans ce «pamphlet» où l'auteur reconnaît la naïveté de certains de ses propos. On lui en sait gré comme on apprécie les passages sur l'apport scandinave à l'avancement de la notion d'égalité, qui ne peut toutefois se décliner de la même façon à Toosberg que dans la montagne afghane.

Les «petits pas» ne se mesurent pas partout pareil. Et pas juste à cause des talons hauts.

Autre suggestion

Pour le strict plaisir du texte, où que vous soyez sur l'échiquier «politique», nous vous suggérons (encore) la revue littéraire l'Inconvénient, dont le numéro de février (#36, 10$) s'intitule La planète des femmes.

De Marthésie, reine des Amazones (1699) à La chronique du pays des Mères (1992), Mario Tessier propose un fascinant voyage dans la littérature de «Un monde sans hommes»: ici «Matriarchies hégémoniques», là sociétés lesbiennes radicales prônant le génocide masculin. On est loin de la Women's Lib...

Après les nouvelles de François Taillandier (sur la première papesse qui prend le nom de Jeanne... II) et d'Isabelle Laramée, Marc Chevrier (Le temps de l'homme fini, Boréal, 2005) signe un grand reportage où passé et présent se fondent en de magnifiques tableaux: La femme est au Japon. «Ce continent-femme», écrit ce rigoureux observateur, «bouscule les plaques tectoniques des identités, et la femme, comme le Japon, est trop multiple pour n'être qu'une seule île.»

Et Chevrier de sauter de «clichés» en «japoniaiseries» sans qu'une seule fois, il ne soit question des geishas... Et sans le moindre inconvénient pour le lecteur.

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UN PETIT PAS POUR LA FEMME

Un grand pas pour l'humanité

Alain Cognard

Michel Brûlé éd., 190 pages, 18,95$

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