Issus de réalités sociales problématiques et controversées (criminalité, pauvreté, alcoolisme, toxicomanie, prostitution, etc.), le jazz et le roman policier, genres de crise et de ruptures, font tous deux écho à la tragédie humaine et à son mal de vivre.

Qualifié par ses détracteurs de «musique de nègre», le jazz est né, au début du XXe siècle, de la fusion du ragtime et du blues dans les bordels et les cabarets La Nouvelle-Orléans. C'est dans ce contexte et à cette époque (1907) que David Fulmer situe l'intrigue de Courir après le diable, premier volet d'une trilogie consacrée aux enquêtes du détective créole Valentin St. Cyr.

 

Une vague de crimes s'est abattue sur Storyville, le quartier chaud de la ville sur lequel règne le tout-puissant Tom Anderson. Parce que ces crimes sont préjudiciables à la bonne marche des affaires, Anderson ordonne à St. Cyr, un ex-flic devenu détective privé, de découvrir qui assassine des prostituées. Chargé de la protection des principaux bordels du quartier, St. Cyr découvre que son meilleur ami, le musicien Buddy Bolden, était présent chaque fois sur la scène du crime, ce qui fait de lui le principal suspect.

Charles «Buddy» Bolden est un cornettiste surdoué que d'aucuns considèrent aujourd'hui comme le père fondateur du jazz. À partir de 1906, il a commencé à manifester des signes de dérangement mental. Au moment de la vague de crimes, il a un comportement si étrange et si violent que ça ne fait qu'aggraver les soupçons qui pèsent contre lui. Seul St. Cyr refuse de croire qu'il est un assassin.

Dans ce roman tout à fait passionnant, Fulmer nous plonge en plein coeur de La Nouvelle-Orléans du début du XXe siècle, avec ses quartiers chauds, ses musiciens de jazz, le vaudou et ses lieux de débauche dont il nous propose une visite guidée d'un pittoresque tout à fait réjouissant. À lire accompagné d'un disque de Louis Armstrong...

 

Crépusculaire et mélancolique

C'est aussi à La Nouvelle-Orléans, mais à l'époque contemporaine, que se situe l'intrigue du Dernier tramway pour les Champs-Élysées, de James Lee Burke, qui nous entraîne une fois de plus dans une histoire d'une grande complexité, un roman crépusculaire et mélancolique à l'image de Steve Robicheaux, son héros plus solitaire et tourmenté que jamais.

Au début, les événements se précipitent. Il y a d'abord la mort atroce de trois adolescentes dans un accident de voiture, puis le père Donovan, un ami de Dave, est traqué par un tueur irlandais, tandis que Clete Purcel, un drôle de type au comportement imprévisible, inflige une raclée à une star du porno.

À partir de ces faits en apparence disparates, et par des chemins imprévus, Dave Robicheaux est amené à s'intéresser au sort de Junior Crudup, un jeune bluesman de génie, incarcéré dans la ferme-prison d'Angola dans les années 30. Réservé aux détenus noirs, ce pénitencier de sinistre réputation était une antichambre de l'enfer. Or, un mystère plane sur le véritable destin de Crudup, jamais ressorti de cette prison infernale où il purgeait sa peine.

L'enquête de Robicheaux l'amène à soupçonner Castille Lejeune, un héros de guerre puissant et respecté. La femme de Castille s'était intéressée à la musique de Crudup, mais dans le contexte raciste de l'époque, avec un mari jaloux, cela ne pouvait que mal finir. Coincer le criminel, 30 ans après les faits, ne sera pas facile. L'affaire connaîtra toutefois un dénouement crève-coeur. Ce grand cru de James Lee Burke est à déguster accompagné d'un air de blues.

Pour ceux que le thème intéresse, je signale l'existence sur le site de la revue Alibis (www.revue-alibis.com) d'une bibliographie «polars et jazz» qui propose des dizaines de titres en français et en anglais.

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Courir après le diable

David Fulmer

Rivages/Thriller, 348 pages, 39,95$

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Dernier tramway pour les Champs-Élysées

James Lee Burke

Rivages/Thriller, 346 pages, 32,95$

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