Mathieu Lindon, qui ne recule devant rien, à preuve son roman politiquement explicite Le procès de Jean-Marie Le Pen paru en 1998 et qui lui a valu un long procès qu'il a perdu, s'est mis à reculer beaucoup cette fois-ci, dans le temps et dans ses souvenirs, pour retrouver les sensations, les plaisirs et les dégoûts de l'enfant qu'il a été dans les années 60 (il est né en 1955), c'est-à-dire du garçon de 8 à 11 ans dont il a cherché (avec grâce et crânerie) à retrouver ce qu'il ressentait ou appréhendait de la vie. En enfance est une autobiographie de gamin.

L'effort ne se sent pas. Lindon (écrivain et critique littéraire à Libération) est redevenu Mathieu comme par enchantement, l'opération n'occultant rien des scrupules, des incompréhensions, des stupeurs, mais aussi des bonheurs, des plaisirs de l'état d'enfance. Ainsi, raconté à la troisième personne, il espionne, en quelque sorte, et peut-être trahit-il, cet enfant qui vole sans réfléchir un billet de banque abandonné sur une table chez ses grands-parents, ce garçon qui ressent, couché sur le ventre, une sensation agréable à frotter son zizi contre le drap, ce gamin qui berne sa mère en retournant dans le coquetier l'oeuf à la coque mangé pour qu'elle croie qu'il ne l'a pas encore fait...

 

Mais il se trouve que la famille Lindon (papa, maman, lui, un frère aîné, une grande soeur) n'est pas anonyme. Papa, jamais nommé autrement, est l'un des plus importants éditeurs français de la seconde moitié du XXe siècle, Jérôme Lindon, qui, en 1950, racheta de Vercors les Éditions de Minuit que l'auteur du Silence de la mer avait fondées dans la clandestinité pendant la Seconde Guerre mondiale. Maison devenue celle des plus magistrales plumes, Beckett, Sarraute, Claude Simon, Duras, aujourd'hui Echenoz et j'en passe.

Alors, la lecture de ces traces d'une enfance protégée mais inquiète, heureuse mais scrupuleuse, hantée d'incompréhension, que le fils Lindon retrouve à 50 ans, déjà plaisante et troublante en soi, se double, pour le lecteur curieux qui sait l'importance de cet éditeur, d'une course aux indices sur Lindon père de famille. On apprendra tout au plus qu'il était interdit de cogner à la porte de son bureau, qu'il n'y avait pas de télé à la maison, qu'il ne venait jamais déjeuner, mais qu'au dîner, il pouvait parfois raconter une histoire drôle, et qu'il mettait une casquette en sortant...

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En enfance

Mathieu Lindon

P.O.L., 341 p.ages, 41,50$

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