Après l'ambitieuse trilogie autour de Charles le téméraire, Yves Beauchemin nous revient dans un genre nouveau avec Renard bleu, un joyeux conte pour tous.

De prime abord, le livre déconcerte. Un renard qui parle, un squelette timide, une famille de fantômes et une méchante sorcière... Sommes-nous devant un livre jeunesse? «Pas vraiment.», nous répond en souriant l'auteur du Matou, qui a pourtant déjà signé quatre livres pour jeune public.

 

«Pour moi, Renard bleu est un roman grand public, c'est-à-dire qu'il rejoint les adultes qui sont restés jeunes, qui aiment s'amuser, rire et se moquer. Mais il rejoindra aussi les enfants vifs d'esprit. Pour moi, la frontière entre roman jeunesse et roman adulte est abstraite, je dirais même scolaire.»

Renard bleu reste pourtant le héros des histoires qu'Yves Beauchemin inventait pour ses fils lorsque ceux-ci étaient petits. «Mon projet de départ était d'écrire une série de romans jeunesse sur ce thème, mais mon éditeur trouvait que la formule du roman jeunesse était peut-être usée. Il avait envie d'essayer quelque chose, de me laisser écrire sur cet univers sans m'imposer de limites d'auditoire. Je l'ai pris comme un défi, j'ai tenté le coup. Et voilà le résultat.»

Pour se faire une idée du genre, l'écrivain a relu les célèbres titres suédois, Le merveilleux voyage de Nils Holgersson et Les frères Coeur-de-lion. Il s'est aussi replongé dans des oeuvres comme L'île au trésor et Alice au pays des merveilles. «J'avais besoin de modèles, explique-t-il. Aussi, mon fils, qui a 32 ans aujourd'hui, me demandait depuis des années de m'inspirer du Renard bleu et des nombreux personnages qui l'accompagnaient. Je me suis donc amusé à imaginer comment raconter la même histoire aujourd'hui à l'adulte qu'il est devenu. Plusieurs niveaux de lecture se sont ajoutés. Il y a un regard sur la politique, sur l'éducation, sur le capitalisme. J'en ai bien sûr profité pour envoyer des petites pointes.»





Écrire pour dire

On retrouve aisément les cibles habituelles de l'auteur sous l'apparente candeur du coup de crayon. Outre l'opportunisme d'un premier ministre provincial étrangement frisé et d'un financier (un certain Paul Desmarigots), Yves Beauchemin s'amuse à imaginer un ministère de l'Éducation totalement opaque pour le commun des... renards parlants.

«C'était plus fort que moi, explique Beauchemin. J'avais une dent contre le ministère de l'Éducation parce que j'en ai vécu personnellement les conneries. Un programme sans dictée ni grammaire, on s'en va où avec ça? C'est moi qui ai montré à lire et à écrire à mes garçons, à raison d'une dictée par matin! Je peux vous assurer que j'ai gagné des concours d'impopularité plusieurs fois, s'esclaffe-t-il. J'ai même dû imprimer des coupons de dictée pour les motiver. J'étais prêt à tout pour ne pas qu'ils deviennent des analphabètes. Et ce n'était pas à moi de faire ça.»

L'auteur se désole d'ailleurs de voir que le problème, loin de s'être résorbé, a pris des proportions inquiétantes. «Nous avons gâché des générations complètes, nous avons fait des infirmes. Nous n'en sommes plus à corriger des fautes, nous en sommes à nous demander: qu'est-ce que ce jeune veut dire? Et ça, c'est très grave. Notre écriture n'est pourtant pas aussi complexe que le chinois ou le japonais.»

Militant, l'écrivain l'a toujours été. Mais avec Renard bleu, Yves Beauchemin dénonce tout en empruntant un ton humoristique. Situant son action dans une forêt où vit toute une communauté d'animaux, Beauchemin effleure également les problèmes liés à l'environnement. Les bétonneuses se pointent en sifflant, les coupes à blanc font des ravages. Si ses renards parlants ont leur permis de camionneur, ils s'inquiètent néanmoins des conséquences directes du pillage des bois, une préoccupation que partage l'écrivain depuis plusieurs années.

«C'est l'homme qui va disparaître si on ne fait rien, déplore Beauchemin. Or, la nature nous aide, elle nous envoie des signaux. Je crois que notre relation avec elle est en train de changer. Nous sommes en train de réaliser les limites de notre genre humain.»

Animé d'un espoir dont on a bien besoin, Beauchemin poursuit: «L'évolution d'une société se fait lentement. En 1976, je ramassais mes boîtes de conserve, je les écrasais dans ma cave et aux trois-quatre ans, je louais un camion et j'allais les vendre au ferrailleur. Je passais pour un hurluberlu. Trente ans plus tard, la récupération est devenue la norme. Je pense qu'on chemine, lentement certes, on ne s'en rend pas trop compte, mais on avance quand même.»

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Renard bleu

Yves Beauchemin

Éditions Fides, 376 pages, 24,95$