Marie-Sissi Labrèche me retrouve chez Kitchenette, boulevard René-Lévesque. L'auteure des romans d'autofiction Borderline, La brèche, La Lune dans un HLM, et du scénario du film Borderline de Lyne Charlebois, a plein de projets en tête: pour le cinéma, la télé, le roman. Mais rien qui ne soit inspiré de sa propre vie. Vive l'autofiction, à condition d'en sortir.

Marc Cassivi: Tu aimes l'autofiction, mais tu veux en sortir...

Marie-Sissi Labrèche: Oui. Si je suis tannée de l'autofiction, c'est qu'on m'a tellement associée à ça. Je ne suis pas la seule à en faire! C'est aussi rendu un fourre-tout. Les gens n'arrivent pas à savoir ce que c'est exactement. En fait, ils ont raison. C'est comme un avatar de l'autobiographie, une autre façon de faire de l'autobiographie. Mais le pacte est différent. L'autofiction est un jeu avec le lecteur. L'autobiographe veut donner du vrai, alors que l'autofictionnaire en donne, mais jamais trop. Parfois, il ne prête que son nom au personnage...

 

M.C.: Et il n'est pas plus vrai que n'importe quel autre personnage.

M.-S.L.: Tous les romans ont une part d'autofiction. On s'inspire tous de ce que l'on vit et de ce que l'on fait pour écrire. Sauf que l'autofiction est nommée. L'identité nominale est là. Sissi dans Borderline, par exemple. Quand j'ai fait de l'autofiction la première fois, je ne savais même pas que ça existait. À la maîtrise, il fallait que je fasse une partie de création - j'écrivais Borderline - et il fallait aussi que je décortique un sujet sur une soixantaine de pages. Mon directeur de maîtrise m'a suggéré l'autofiction, en me disant que c'était ce que je faisais en création. J'ai fini par me spécialiser dans l'autofiction.

M.C.: En plus d'en faire, tu connais bien le phénomène.

M.-S.L.: Quand j'ai terminé ma scolarité, j'avais développé un discours intellectuel sur l'autofiction, alors je me suis mise à en parler en public, pour ne pas avoir l'air tarte! (rires) Mais j'y ai aussitôt été associée et je suis tombée dans le piège. J'étais devenue une autofictionnaire. Au même moment est arrivée Christine Angot avec L'inceste, qui donne dans l'autofiction full pin. Il y a eu un effet de mode, et présentement, il y a un ressac, en littérature du moins. Ce n'est pas encore arrivé en télé ou en cinéma.

M.C.: En littérature, c'est une mode qui agace les critiques?

M.-S.L.: Pas nécessairement les critiques, mais l'intelligentsia, les universitaires. L'autofiction est trop médiatisée. Ça les agace. L'idée de parler de soi a toujours été mal vue. Même si c'est un jeu. Au même titre qu'il était mal vu dans les années 70 de parler du bonheur. Il y a différents courants de pensée en littérature. Il y a aussi le fait que ce sont surtout des femmes qui font de l'autofiction: Catherine Millet, Christine Angot, Nelly Arcan... Ça aussi ça agace. C'est une autre façon de nous rentrer dedans.

M.C.: Les femmes osent davantage s'exposer? C'est un procédé qui convient davantage aux femmes à ton avis?

M.-S.L.: Je ne saurais dire. C'est peut-être que les femmes ont un rapport avec l'écriture de l'intime qui est différent de celui des hommes. Souvent, les femmes ont une écriture - je ne sais pas comment le dire - «entre les os et la peau», une écriture très profonde. Alors que les garçons sont davantage dans l'action. Il y a aussi le fait que les femmes n'ont pas eu le droit de parler pendant des années. La basse-cour passe au batte! Attention le coq! On est dans une société d'extrêmes: sports extrêmes, sexe extrême, tout est extrême. C'est une sorte de littérature extrême. Quand je fais de l'autofiction, je me mets à risque comme une funambule. Est-ce que c'est vrai ou pas? J'ai eu besoin d'être le personnage. C'était un besoin d'authenticité extrême. J'ai longtemps cru que pour être honnête, pour être vraie, il fallait que je sois transparente, que je dise tout et que je donne tout.

M.C.: C'était une forme d'impudeur?

M.-S.L.: Ce n'était pas pour moi de l'impudeur, mais de l'honnêteté. J'avais tellement peur de passer pour une charlatane, que j'ai tout donné. Mais j'ai appris qu'on pouvait aussi se protéger...

M.C.: Avec le recul, crois-tu que ce n'était peut-être pas la bonne voie?

M.-S.L.: Je voulais m'utiliser comme personnage parce que je voulais apprendre à quelqu'un que je ne l'aimais pas. C'était moi. Ce n'est pas pratique! (rires) Ce n'était pas un trip narcissique. Dans mes romans, je ne me rehausse pas. Je suis plutôt dans le hara-kiri.

M.C.: L'écriture est pour toi quelque chose de thérapeutique?

M.-S.L.: Mets-en! Mes 10 ans d'analyse, c'était le même principe. Avec ma psy, je revisitais mon passé. À l'écriture, je pouvais jouer dans ce passé. J'étais à mon aise, j'avais mon arme.

M.C.: Pourquoi tu as eu besoin de quitter l'autofiction?

M.-S.L.: J'ai fait le tour. Je n'ai plus grand-chose à dire. Les choses vont bien. J'en ai assez de faire hara-kiri et de tout donner. On peut se protéger. J'y suis allée à fond.

M.C.: Tu n'as pas eu l'impression d'aller trop loin...

M.-S.L.: Je n'ai pas eu de mauvaises expériences. C'était bien assumé de ma part. Je ne suis pas quelqu'un qui se prend très au sérieux. Peut-être que je devrais me prendre plus au sérieux. Des fois, on a l'impression que je suis sur l'acide alors que je n'ai jamais rien pris! De toute façon, je ne dis pas que je ne referai jamais de l'autofiction.