Il n'en a pas trouvé, il n'en trouvera pas de réponse, Dominique Fernandez qui se demande pourquoi son père, autrefois brillant critique littéraire dans la presse parisienne, ce Ramon Fernandez qui fréquenta Malraux, siégea au comité de lecture chez Gallimard, devint, en 1939, membre du Parti populaire français (le PPF de Jacques Doriot), donc un fasciste, un «collabo», un «salaud».

Le fils Fernandez livre un imposant témoignage comme on n'en a jamais lu; une interrogation sans réplique, une enquête sans verdict, le travail d'un écrivain à la recherche d'un homme perdu, son père, qui portait beau, mais qu'il a à peine connu (vivant avec sa mère divorcée, il a 15 ans quand son père meurt en 1944) et envers qui il a cultivé une tendresse filiale. Il avoue, parlant de ses propres romans, qu'«ils adressent tous, en quelque sorte, un message de solidarité à mon père». Ce livre est inhabituel, incomparable.

 

Dominique Fernandez n'est pas de mes écrivains préférés, il n'entre pas dans mon cheptel de lecteur, c'est un homme de culture, mais ses romans portent le signe de la préciosité; ceux qui le lisent savent qu'il ramène tout à la centrale homosexuelle, les tenants de l'homosexualité étant «la famille» (il emploie cette expression) et j'y trouve une manie agaçante. Dans Ramon, il insiste sur la possible incidence homosexuelle pour tenter de comprendre le choix de son père. Cette insistance est le seul agacement d'un ouvrage magistral.

Ramon Fernandez, qui a commis des romans, mais était reconnu pour la qualité de ses critiques, en a écrit un mettant en scène un homosexuel. Il n'en fallait pas plus pour que le fils cherche à le faire entrer dans «la famille», citant le mot d'Emmanuel Berl: «Les collabos voulaient tous se faire enculer par les SS.» Sauf qu'il était un homme à femmes, d'origine mexicaine, ce que la mère de Dominique devait payer d'un divorce brutal. Le plus étrange de ce livre de fils, c'est quand l'auteur avoue: «Amoureux de mon père, je l'ai toujours été, je le reste. Ma mère, je l'ai admirée, je l'ai crainte, je ne l'ai pas aimée.» Le souvenir honteux du père («Je suis né de ce traître») s'est transformé en un amour né de l'interdiction d'aimer cet homme jugé traître par l'histoire, cet «homme perdu».

Ce côté «tordu» (Genet aurait salué) ne devrait pas vous empêcher d'ouvrir Ramon et de traverser cette brique indécente, scrupuleusement documentée, qui offre à lire trois champs débroussaillés, la vie littéraire de la première moitié du XXe siècle (Ramon était partout, de Gide à Céline, de Proust à Duras, sa voisine rue Saint-Benoît), l'histoire politique de l'entre-deux-guerres et, pages émues, celle d'une famille brisée par un échec conjugal entre un amateur de Bugatti et une renfrognée.

Fernandez, octogénaire et académicien (il a l'audace de saluer son père au début de son discours sous la Coupole en 2007), n'aura jamais de réponse à sa suppliante interrogation. Pour excuser la persistance dans l'erreur de son géniteur jusqu'à sa mort (un infarctus lui évita les procès de «l'Épuration»), il évoque «une fierté de Mexicain (qui) lui évita ce laid sauve-qui-peut», comme d'autres intellectuels qui, pour sauver leur peau, abandonnèrent le bateau fasciste qui coulait.

C'est dans l'alcool que coula Ramon; il refusa de fuir, il resta ferme dans l'erreur, cherchant à se faire mépriser en buvant jusqu'au désespoir...Ce livre est un Tombeau pathétique.

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Ramon

Dominique Fernandez

Grasset, 809 pages

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