Comme dans une sorte de retour aux sources, l'action d'Un homme très recherché, le 21e roman de John le Carré, se déroule dans le port allemand de Hambourg, une ville qui a marqué l'auteur de diverses manières. Cadre du Foreign Office, il y est nommé consul dans les années 60. C'est là qu'il écrit L'espion qui venait du froid (1963) et qu'il situe l'action de Les gens de Smiley en 1979. C'est à Hambourg encore qu'il se trouve quand les terroristes attaquent les tours jumelles à New York. Cachés au sein de la communauté turque, trois des comploteurs, membres d'Al-Qaeda, avaient soigneusement mis au point les détails de leurs attaques-suicide dans cette même ville. C'est pourquoi les services de sécurité allemands, et ceux de Hambourg en particulier, cultivent un certain sentiment de culpabilité auquel vient se greffer un fort désir de revanche.

 

Issa Karpov, l'homme très recherché du titre, est un musulman russo-tchétchène apatride, avec un passé de violence et de séjours en prison, recherché par les polices suédoises et danoises. Il est entré en Allemagne de manière clandestine, avec une grosse liasse de billets et une lettre en caractères cyrilliques portant les six chiffres d'un code bancaire. Deux personnes vont tenter de venir en aide à ce Candide venu de l'enfer dont la seule ambition, semble-t-il, est de repartir à zéro en faisant des études de médecine. Annabel Richter est une avocate idéaliste qui travaille pour une association d'aide aux immigrés. Elle s'est juré de sauver Issa de l'expulsion, même si sa cause semble désespérée. Tommy Brue est le patron d'une banque anglaise au bord de la faillite. C'est là que le père d'Issa a ouvert un compte destiné à blanchir de l'argent venu d'activités illicites en Russie. Grâce aux sommes disponibles, Issa devrait pouvoir mener une vie normale à l'abri du besoin. C'est sans compter avec les services secrets allemands et britanniques qui veulent se servir de lui comme d'un agent double pour infiltrer les réseaux islamistes. Avec la «collaboration» un peu forcée d'Annabel et de Tommy, un plan ingénieux est monté à cet effet. Mais quand déboulent les cow-boys américains de la CIA, bien décidés à bouffer du terroriste, tout s'écroule dans un dénouement crève-coeur qui laisse un goût amer.

Avec Un homme très recherché, le Carré vient de donner à la littérature européenne sa première grande oeuvre inspirée par les événements tragiques du 11 septembre 2001. Ancrée dans les turbulences de notre époque, cette histoire remarquable, qui n'a rien du thriller conventionnel, démonte de manière implacable la logique paranoïaque de la lutte contre le terrorisme, la dérive inquiétante des services secrets ainsi que leurs luttes internes stériles. Un livre coup-de-poing qui fait réfléchir.

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Un homme très recherché

John le Carré

Seuil, 362 pages, 32,95$

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