Avec l'ouverture du Vietnam, une nouvelle littérature s'affirme, détournée des douleurs de la guerre, des désillusions de la Révolution.

Une littérature qui parle d'amour, de sexe sans tabou, du désoeuvrement d'une société qui s'urbanise, en mal de repères dans un monde en rapide changement. Une littérature trop peu engagée pour certains, plus fidèle au nouveau visage de la jeunesse vietnamienne pour d'autres.

La politique du Doi Moi, politique du renouveau ou d'ouverture lancée par le pouvoir communiste en 1986, avait ouvert la voie à une génération d'écrivains parfois anciens révolutionnaires et soldats, mais en rupture avec la littérature patriotique des guerres de libération.

Un espace de liberté s'ouvrait à des auteurs comme Bao Ninh, Nguyen Huy Thiep ou Duong Thu Huong, qui allait vite se retourner contre eux mais sans museler leurs plumes, acerbes chacune à leurs façons, dans la peinture des horreurs du conflit, du désenchantement de l'après-guerre, ou du système dévoyé enfanté par la Révolution.

Ces écrivains, largement traduits, restent des références, au Vietnam ou à l'étranger. Ainsi, la romancière Duong Thu Huong vient de régler des comptes avec le régime communiste dans son dernier roman, Au Zénith.

Mais de nouvelles générations, trop jeunes pour s'être battues pendant la guerre du Vietnam ou nées après la fin du conflit en 1975, occupent aujourd'hui l'espace.

Pour une population dont les deux tiers ont moins de 35 ans, «la réalité de la guerre s'éloigne», explique Doan Cam Thi, critique littéraire qui a traduit et regroupé certains de leurs textes dans Au rez-de-chaussée du paradis.

Aujourd'hui selon elle, des auteurs comme Bao Ninh, Nguyen Huy Thiep, Duong Thu Huong «proposent peu de clés aux jeunes pour comprendre leur monde». En revanche, estime-t-elle, les nouvelles figures de la littérature «racontent de manière lucide leur époque».

À Hanoï, Nguyen Viet Ha met en scène le vide spirituel des citadins.

Dans Adieu ma tourterelle, Nguyen Ngoc Tu, référence du Sud qui vit dans sa province du bout du delta du Mékong, Ca Mau, raconte la rupture d'un couple qui s'aime mais laisse, sans mélodrame, la vie le séparer.

Thuan, établie en France, retrace dans Chinatown, roman à paraître en février dans l'Hexagone, le parcours d'une «Viet Kieu», Vietnamienne de l'étranger, de Hanoï à Paris, en passant par l'ex-Union soviétique.

Pour Nguyen Chi Hoan, de l'hebdomadaire vietnamien des Arts et des Lettres (Tuan Bao Van Nghe), les nouvelles générations se concentrent, comme leurs aînés, sur l'individu. Individu qui, «pendant les décennies de guerre, devait s'effacer derrière la communauté».

Mais leur préoccupation, explique-t-il, est notamment d'écrire sur cette «contradiction» qui se présente aujourd'hui aux Vietnamiens à mesure que leur pays s'industrialise et enchaîne des taux de croissance de plus de 6 %: désir de vie «aisée» et maintien ou reconquête d'une «vie spirituelle».

La jeune littérature laisse sans doute en revanche davantage de côté la politique, plus éloignée d'une confrontation avec un régime qui continue de la censurer, de faire la guerre aux éléments contestataires, écrivains ou journalistes, qu'il juge «réactionnaires».

Sévère ou blasé, Bao Ninh, dont Le chagrin de la guerre avait fait scandale dans les années 90, estime que les nouvelles générations ont d'une certaine façon démissionné.

L'auteur déplore des oeuvres dans lesquelles sont éludées «les difficultés réelles du Vietnam». «Les jeunes écrivains», juge-t-il, «ont tendance à s'éclipser».

Pour Nguyen Viet Ha, parfois considéré comme l'un des chefs de file de cette nouvelle littérature, c'est l'époque qui veut ça. «Dans la vie réelle des jeunes gens aujourd'hui», souligne-t-il, «la politique occupe une très petite place».