Russell Banks est un auteur prolifique ayant publié une bonne dizaine de romans, dont De beaux lendemains et Affliction. Mais jamais auparavant n'avait-il signé d'essai, une lacune qu'il comble avec la publication toute récente de Dreaming Up America, la version anglaise d'Amérique notre histoire.

Basé sur une longue entrevue (11 heures!) accordée au cinéaste Jean-Michel Meurice il y a un peu plus de deux ans, ce livre est un condensé du terreau historique dont l'oeuvre de Banks est inspirée. L'auteur y retrace, avec une interprétation toute personnelle, l'histoire de l'Amérique, de la colonisation à George W. Bush.

 

La Presse a voulu poursuivre l'entretien, pour y ajouter l'élection historique de mardi dernier...

La Presse: Le président des États-Unis, écrivez-vous, représente à la fois l'imaginaire et la mythologie des citoyens qui l'élisent. Que signifie donc l'élection de Barack Obama?

Russel Banks: C'est un virage positif, qui nous oblige à regarder le président avec des yeux nouveaux. Ce n'est plus ce père blanc de la Nation. C'est un Afro-Américain avec une peau foncée, des enfants noirs, une femme noire. Nous ne percevrons plus la présidence de la même manière. Nous ne nous percevrons plus de la même manière. C'est assez extraordinaire.

Q: Qu'ajoute l'élection d'Obama à cette mythologie?

R: Pour la première fois de notre histoire, nous commençons à réaliser que nous sommes une société hétérogène. Nous nous sommes toujours perçus comme une société blanche dans laquelle les minorités étaient, en quelque sorte, une aberration. Or, nous sommes, depuis les tout débuts, une société multiraciale. Nous vivions simplement dans le déni.

Q: Le président américain, écrivez-vous, est à la fois pape, chef de la direction et monarque de son pays. Quelle sorte de président sera Obama?

R: On parle beaucoup de lui en tant que symbole. Or parler de lui en termes politiques est fort différent. Je crois qu'il gouvernera au centre, de la même manière que Bill Clinton ou Jimmy Carter. Or quand on gouverne au centre, on gouverne pour le statu quo...

Q: Il ne transformera donc pas les États-Unis?

R: Je ne crois pas, en effet, qu'Obama infléchira radicalement les politiques de l'administration américaine. Nous verrons certainement plus de compétence, plus d'intelligence, un plus grand appel à la raison et, peut-être même, plus d'honnêteté. Mais lorsqu'on gouverne au centre, changer les politiques aux États-Unis est comme tenter de changer la direction du Titanic au moment où l'iceberg est en vue.

Q: Les attentes sont donc trop élevées?

R: Certainement! Obama n'est ni le sauveur ni le messie. En raison du contexte économique et politique, les quatre ou huit prochaines années seront très difficiles, ce qui l'empêchera d'apporter de grands changements.

Q: Les leaders américains sont cyniques, concluez-vous dans votre essai. Obama aussi?

R: Je dois reconnaître qu'Obama semble être taillé dans une étoffe différente que celle des autres leaders que j'ai connus de mon vivant.

Q: Le fait qu'il ait publié deux livres de sa propre plume influence-t-il votre jugement?

R: Les Américains ont été dirigés par cinq présidents ayant un réel talent d'écrivain. Il y a eu Thomas Jefferson, évidemment. Abraham Lincoln. Ulysses Grant, dont l'autobiographie en deux volumes est certainement la mieux écrite d'entre toutes. Theodore Roosevelt aussi était un écrivain de grand talent. Mais depuis, le seul à avoir aussi bien manié la plume est Obama. Son premier livre, Dreams from my Father, est tout à fait remarquable. Et cela, je dois le dire, m'inspire confiance.

 

Q: Qu'est-ce que l'autobiographie d'Obama révèle sur son auteur?

R: Obama a un respect pour la langue que nous n'avons pas vu depuis des décennies de la part d'un politicien. Il croit au pouvoir des mots, à la nécessité d'utiliser la langue avec clarté et honnêteté. Cela est rassurant pour nous, qui sommes habitués à ce que les politiciens pervertissent la langue pour cacher la réalité, pour tromper, pour manipuler les citoyens.

Q: Est-ce le retour du balancier après huit ans sous le règne de George W. Bush?

R: C'est peut-être un nécessaire remède! Les citoyens sont peut-être devenus si déprimés et découragés par l'abus de langage de Bush, qu'ils ont senti le besoin de se tourner vers une personne dont la langue inspire confiance.

Q: Ses talents d'orateur sont-ils à la hauteur de ses talents d'écrivain?

R: Oui, il a un réel talent. Il est très sensible au ton à privilégier, qu'il contrôle d'instinct. Il y avait du Martin Luther King dans son discours de victoire, mardi. Obama a su garder un ton sobre, évitant volontairement d'utiliser un langage qui aurait enflammé la foule. C'était brillant, car empreint à la fois d'inspiration et de pragmatisme.

Q: Bush a sombré, écrivez-vous, et le pays a sombré avec lui. Obama réussira-t-il à effacer les dégâts causés par Bush?

R: Obama a déjà eu un effet positif. Il a inspiré les jeunes et tous ceux qui se sentent aliénés du processus politique, comme les Afro-Américains, les Latinos, les démunis. Il les a inspirés, les a embarqués dans le processus de gouvernance, pour qu'ils reprennent en quelque sorte la destinée du pays.

Q: Un exemple?

R: J'écoutais la télé locale de Burlington, hier soir. On y présentait une entrevue avec une mère noire dans la cinquantaine. Elle parlait de son adolescent, de ses difficultés à lui inculquer le respect de l'apprentissage, de l'éducation. Puis elle racontait que le lendemain de l'élection, son fils lui avait dit: «C'est vraiment cool, d'être intelligent.» Ça, c'est un virage!

Dreaming Up America

Russell Banks

Seven Stories Press, 127 pages, 24,95$

Amérique notre histoire

Russell Banks

Actes Sud/arte éditions, 138 pages, 27,95$