Depuis une dizaine d'années, Riccardo Petrella a fait de l'eau son principal cheval de bataille. Le politologue et économiste calabrais, qui a fondé en 1991 le Groupe de Lisbonne pour réfléchir sur la redistribution de la richesse des pays riches vers les pays pauvres, était cette semaine de passage à Montréal pour présenter son Manifeste de l'eau pour le XXIe siècle.

Disons-le tout de suite, M. Petrella n'est pas un admirateur du capitalisme. Il estime que la croissance économique chinoise est une «illusion» basée sur l'exploitation à outrance des ressources naturelles de ce pays, qui s'écroulera sous son propre poids. Pour lui, les composantes de base du bien-être des individus, comme l'eau ou les terrains nécessaires à l'habitation, sont «sacrées» et devraient être de propriété publique, voire gratuites.

 

«Le grand problème de la monétarisation, c'est qu'elle efface la notion de sacralité», explique M. Petrella en entrevue dans un hôtel du centre-ville. «L'eau est nécessaire à la vie et chaque être humain devrait avoir accès à ce qui est nécessaire pour sa survie. L'idée que le prix de l'eau devrait varier en fonction des circonstances de chaque pays et des désirs des différents individus qui composent sa population est une thèse aberrante. Tout le monde devrait avoir accès à l'eau, indépendamment de son pouvoir d'achat.»

Pour autant, M. Petrella n'est pas opposé à la tarification et au «paternalisme mou», qui vise à encourager de manière imperceptible les comportements individuels bénéfiques pour la société. «L'Organisation mondiale de la santé estime que chaque personne a besoin de 50 litres d'eau potable par jour. Je pense que cette eau devrait être gratuite, que son coût devrait être supporté par la fiscalité générale. Ensuite, on pourrait avoir une tarification inférieure au coût de production pour une consommation allant jusqu'à 120 litres, une quantité acceptable pour le bien-être existant dans les pays riches. Jusqu'à 250 litres, il pourrait y avoir un tarif progressif, et au-delà l'alimentation serait coupée.» Cette limite de 250 litres pourrait être relevée dans certains pays en fonction de la capacité des ressources aquifères.

La Ville de Montréal estime que la consommation dans les résidences est de 460 litres par jour par habitant. C'est trois fois plus que la moyenne française, si on se fie à un rapport de l'École nationale du génie de l'eau et de l'environnement de Strasbourg.

L'agriculture, responsable de 70% de la consommation mondiale d'eau (contre 20% pour l'industrie et 10% par les ménages), devrait elle aussi bénéficier de la gratuité d'une certaine quantité. «Le Programme alimentaire mondial estime que toute communauté humaine devrait avoir environ 200 litres par personne par jour, tous usages confondus. Ça devrait être pris en charge par la communauté.» M. Petrella cite en exemple la ville de Paris, la seule au monde à avoir un réseau d'eau indépendant pour les industries, les pompiers et le nettoyage des rues - ce qui évite des frais importants d'assainissement.

L'économiste italien s'oppose d'une manière générale au dessalement de l'eau, à moins qu'on ne parvienne à installer les usines en pleine mer, pour que l'eau chaude qu'elles rejettent n'endommage pas les fragiles écosystèmes côtiers. Et il pense que le tourisme n'est jamais bénéfique pour les pays en voie de développement, notamment parce qu'un touriste d'une station balnéaire consomme jusqu'à 1100 litres par jour. Ce prélèvement d'une ressource naturelle non renouvelable ne compense pas les maigres gains qu'amènent les emplois touristiques.

D'où vient cet intérêt pour les inégalités? «Arrivé à l'université, j'ai dû m'exiler à Florence, où ma mère était née. J'ai pu constater les inégalités énormes entre le nord et le sud du même pays.»

Manifeste de l'eau pour le XXIe siècle

Riccardo Petrella

Fidès, 94 Pages, 12,95$

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