Cette fois, le jury Goncourt a fait très fort. Écartant tous les favoris et les noms connus, il a couronné Syngué sabour, d'Atiq Rahimi, un Afghan de Paris.

Son livre a été publié chez un «petit» éditeur, P.O.L., déjà honoré deux fois pour le prix Femina, mais qui a priori ne faisait pas partie des maisons «goncourables». Cinq minutes plus tard, comme le veut la tradition, le Renaudot était attribué, contre toute attente, à un grand écrivain guinéen, Tierno Monénembo, pour Le roi de Kahel, un roman publié aux éditions du Seuil en mai dernier, fort bien reçu par la critique mais qui avait presque disparu des librairies.Le Goncourt, et son petit frère le Renaudot, ont donc choisi cette année d'aller, à tous les points de vue, hors des sentiers battus.

Contrairement à ce qu'ils avaient déjà fait dans le passé, ils n'ont accordé la palme ni à un auteur célèbre ni à un livre déjà couronné par le succès en librairie. Même pas à une personnalité déjà consacrée par le monde littéraire parisien.

Sois dit en passant, les deux lauréats ont en commun de ne pas être nés en France, ce qui n'est pas en soi une première: il y a déjà eu le Martiniquais Patrick Chamoiseau, l'Haïtien René Depestre, le Congolais Alain Mabanckou, le Marocain ben Jelloun, sans parler d'Antonine Maillet, Anne Hébert, Nancy Huston, et quelques Suisses ou Belges. Qu'il y ait deux auteurs «de couleur» aux deux premières places, quelques jours après l'élection de Barack Obama aux États Unis, constitue tout de même une drôle de coïncidence. Il faut dire qu'un juré Goncourt aussi influent que Bernard Pivot a toujours été un partisan du rayonnement international de la francophonie, et de ce fait le défenseur de romanciers étrangers francophones... pour peu que les romans soient de qualité.

Syngué sabour, expression persane qui signifie «pierre de patience» (le sous-titre du roman), a connu, depuis sa sortie à la fin du mois d'août, une trajectoire particulière. Indéniablement, il y a eu, sinon un énorme succès de librairie, du moins une rumeur favorable. Avant même qu'on arrive à la sélection finale du Goncourt, ce court roman avait fait son chemin et atteint les 20 000 exemplaires. C'est un récit dense et poétique, à l'écriture très épurée, une sorte de monologue de l'épouse afghane devant le corps paralysé, muet et peut-être sourd, de son mari blessé et agonisant.

Mais ce roman, sur les premières listes, ne faisait absolument pas partie des favoris. Âgé de 46 ans, arrivé en 1980 à Paris en tant que réfugié politique, Atiq Rahimi a déjà publié trois romans depuis 2000, mais les précédents avaient été d'abord écrits en persan, sa langue maternelle: «Il m'a fallu m'entourer de quantité de dictionnaires et d'encyclopédies pour parvenir à écrire celui-ci en français, disait-il hier. Je l'ai fait parce que le français, c'est la langue de la liberté.» Il a fallu la publication de la toute dernière liste du Goncourt, le 5 novembre, pour que l'on constate que Rahimi était devenu le favori. Son seul rival sérieux était l'écrivain chevronné Michel Le Bris, grand amateur de voyages et d'épopées, avec La beauté du monde, chez Grasset. Au second tour, Le Bris a eu trois voix et Rahimi, sept.

Onze tours pour le Renaudot

Au Renaudot, le choix a été beaucoup plus difficile, avec 11 tours de scrutin, et le résultat encore plus étonnant. La dernière liste comptait trois grands favoris: Olivier Poivre d'Arvor, Elie Wiesel et Olivier Rolin. In extremis, c'est Tierno Monénembo, auquel personne n'avait pensé, qui l'a obtenu contre Elie Wiesel, par six voix contre cinq à Elie Wiesel (Le cas Sonderberg). C'est une épopée, dans une forme proche de la poésie en prose, qui met en scène... un colonisateur blanc oublié du XIXe siècle, plus idéaliste que les autres, et qui a donné son nom à un quartier de Conakry.

Le perdant de la course 2008: Olivier Rolin, qui figurait sur presque toutes les listes avec son roman Un chasseur de lions (Seuil), donné grand favori au début du mois de septembre.