Alberto Aragon, diplomate déchu et alcoolique, fuit le Salvador. Son pays émerge d'une guerre civile qui a fait 100 000 morts. Il a servi les deux camps, la junte militaire et la guerilla marxiste. Si mal qu'il n'a plus d'amis nulle part. Une seule personne l'aime, «l'Infante», une fille grassouillette et envahissante qui a la moitié de son âge. Il échoue à Mexico, dans une chambre misérable, d'où il la chasse. Il tente de joindre ses contacts, qui ont abouti eux aussi dans la plus grande ville du monde, n'y arrive pas, part en quête d'une bouteille de vodka, se perd, se fait aborder par de mystérieux exilés et meurt. Assassinat, crise cardiaque, delirium tremens?

Le lecteur l'ignore. Un riche Salvadorien, qui a déjà connu Aragon, ne le sait pas plus. Il embauche un détective privé pour trouver la réponse. Ce détective raté, ancien journaliste, partage avec Aragon un goût immodéré pour les femmes et l'alcool. Anéanti par le départ d'une beauté dont il s'est aperçu, trop tard qu'il l'aimait, il s'impose l'abstinence. Son enquête, titre de la deuxième partie du roman, est écrite à la première personne, avec un humour noir.

 

Voilà un livre aussi formidable que singulier. Il vous présente un monde où vous n'avez jamais été. Le roman mélange les genres: une trame policière sur fond politique, dont la puissance se trouve ailleurs, soit dans la perspicacité psychologique de l'auteur. Le récit trouve sa force dans l'originalité du style.

Celle-ci se manifeste avec éclat dans la deuxième partie. Les phrases s'étendent parfois sur des pages et pourtant, cette démesure ne s'accompagne d'aucune confusion. Au contraire, le rythme est haletant, parfois très drôle malgré la tristesse du propos. L'intrigue devient secondaire. La pièce de choix, c'est justement le délire du fameux «détective», qui rappelle celui d'un Don Quichotte à l'envers, dans ce cas un homme totalement immoral. Les seuls torts qu'il veut redresser, ce sont les affronts que des femmes, sortes de moulins à vent idéalisés, lui ont fait subir.

Horacio Castellanos Moya a lui-même fui son pays. Né au Honduras en 1957, il a vécu son enfance et sa jeunesse au Salvador. Il s'est exilé dans de nombreuses contrées, notamment au Canada. Journaliste, il est connu pour ses romans, qui témoignent d'un monde violent. Il faut rendre grâce aux Allusifs, cette petite maison québécoise, qui s'est spécialisée dans la recherche et la traduction de perles exotiques comme ce roman.

Là où vous ne serez pas

Horacio Castellanos Moya, Les Allusifs, 272 pages, 29,95$

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