L'ambitieux roman Uns de Marie-Andrée Lamontagne et Philippe Borne n'est pas un simple roman de science-fiction. Véritable panorama de notre condition humaine à travers les âges et les civilisations, on y croise, certes, moult créatures fantastiques de l'espace vivant selon leurs propres structures sociales complexes. Or, celles-ci jettent un regard analytique, parfois attendri, parfois dédaigneux, sur notre humanité vivotant sur notre bonne vieille planète à feu et à sang.

Les auteurs parviennent ainsi fort habilement à analyser les sciences humaines (et cela, non sans superficialité) tout en les comparant à ces hypothétiques civilisations inconnues. L'idée, somme toute assez fantasque, permet à Lamontagne et à Borne de poser un regard détaché, par le truchement d'observateurs non humains, sur notre prosaïque réalité.

 

Des rapports pour voir notre Histoire

Ces non-humains, ce sont les Uns, membres d'une organisation formée de communautés et de civilisations diverses ayant pour seul point commun leur comportement pacifique. Parmi eux, un Ventorx du nom de Nohog cumule les données sur la planète Terre, s'intéressant de près à son évolution. Ce sont ses rapports qui, s'étalant sur des milliers d'années terrestres, permettent au lecteur d'embrasser du regard toute notre Histoire, de l'émergence du monde bactérien à notre autodestruction annoncée.

Si la lecture semble rébarbative au début (le lecteur doit s'adapter non seulement à une structure politique différente, mais également à un système de pensée et à un vocabulaire différent), elle se révèle pourtant d'une étonnante logique au fil de l'avancée dans l'histoire, arpentant le monde humain, ses histoires entremêlées et son Histoire globale, mais aussi les mondes de l'«ailleurs» et leurs propres courants, philosophies, sociologies.

Contradictions humaines

Ainsi, une contradiction typiquement humaine qui veut que l'esprit artistique se développe chez des êtres aussi belliqueux viendra perturber la mentalité des Uns. «L'imagination prenait chez eux un tour si exubérant qu'il forçait l'admiration. Et dire que cette fleur poussait sur le fumier d'une sauvagerie généralisée», peut-on lire dans un des rapports du Ventorx, lui-même bouleversé par les vers de Baudelaire. L'«anomalie de comportement» des humains entraînera une forte incidence sur la pensée habituellement placide des Uns. De même, le regard de ces «autres» sur les humains aura des impacts concrets sur les Hommes, les faisant progresser tout en les menant à la catastrophe.

Une autre contradiction humaine sera la pierre d'assise de cette étrange oeuvre chorale: le désir toujours renouvelé des humains, ces êtres violents de nature, de faire la paix. Les auteurs en profitent pour dresser un bilan des grandes institutions pour la paix, des Nations unies à Amnistie internationale, de la Charte des droits de l'homme à l'organisation de la première conférence pour la paix de La Haye, traversant les époques, jetant de nouveau la lumière sur les différents systèmes, de l'anarchie au communisme et ultimement au capitalisme. De petites victoires en grands échecs, les humains, sous l'oeil des Uns, y jouent bientôt leurs dernières cartes au seuil de leur disparition, tentant de livrer la plus improbable des batailles. Une bataille contre leurs propres instincts.

Uns

Marie-Andrée Lamontagne et Philippe Borne

Éditions Leméac, 566 pages, 29,95$

***1/2