Quatrième (et dernier?) volet d'une saga inaugurée il y a 20 ans avec Maryse, le plus récent roman de Francine Noël, J'ai l'angoisse légère, capte l'air du temps.

Elle avait la vingtaine en 68, tout comme son personnage de François Ladouceur, qui l'accompagne de livre en livre depuis Maryse, son premier roman publié en 1983. Aujourd'hui, comme François, elle a la soixantaine, elle est écrivaine, professeure à la retraite et... angoissée. Comment ne pas l'être? «Tout le monde est angoissé, dit-elle, sauf peut-être les maîtres bouddhistes, ou les carmélites. Et encore...»

 

Mais elle a l'angoisse légère, Francine Noël. Comme le titre, si joli, de son plus récent roman. «En tout cas, j'essaie. Et j'y réussis généralement. J'essaie d'atteindre un certain équilibre.»

Après un détour par l'autobiographie, avec La femme de ma vie, ce livre beau et émouvant où elle nous parlait de sa mère qui l'a élevée seule, Francine Noël est revenue aux personnages de ceux qu'elle appelle affectueusement sa Tribu. Les François Ladouceur, Elvire, Myriam, Félix, cette bande d'amis, de vieux amants, de parents, enracinés dans le Montréal du Plateau et du parc La Fontaine, que l'on a vus évoluer dans Maryse, Myriam première puis La conjuration des bâtards.

Portrait d'une époque - les années 2000 -, d'un milieu - celui des théâtres et des universités, des étudiants et des artistes -, J'ai l'angoisse légère met en scène un nouveau personnage, Garance Lemieux, une jeune femme dans la trentaine aux amours sans cesse déçues, ex-amante de François Ladouceur, son directeur de thèse, subjuguée par le charme de Vincent, un caméraman «beau comme un arbre oublié au milieu d'un site d'enfouissement», lequel est, malheureusement, secrètement épris de l'inaccessible Myriam.

La solitude, le sentiment d'échec, le regard, l'art sous toutes ses formes, ces grands thèmes chers à l'auteure tissent ce roman écrit dans une langue à la fois solide et délicate, précise et dénuée d'artifice. Tout comme François Ladouceur, Francine Noël doute constamment de son travail d'écrivain et craint l'échec. «J'ai cette fragilité, dit-elle. Et je la lui ai donnée. Je me suis vraiment mis le coeur sur la table, avec ce roman-là. J'ai eu une carrière en dents de scie, rappelle-t-elle. J'ai connu un très gros succès, puis une descente abrupte. Disons que ça m'a appris l'humilité.»

Poursuivre dans l'autobiographie

Mais heureusement pour nous, cela ne l'a pas contrainte au silence. Si Francine Noël publie relativement peu, elle écrit régulièrement, et construit une oeuvre remarquablement cohérente. Cette grande admiratrice de Gabrielle Roy et de Jacques Ferron («mon idole!»), mais aussi de ses contemporains, les Monique Proulx, Gaétan Soucy, Jean Barbe, entend poursuivre la veine autobiographique amorcée avec La femme de ma vie. «Pour le moment, je n'ai plus le goût de supporter le poids de personnages dans lesquels il faut faire entrer des choses. Je suis trop vieille! J'ai davantage le goût de parler en mon propre nom.»

Son prochain texte, qu'elle écrira sous forme de lettres à un fils imaginaire, un interlocuteur de rêve, parlera, entre autres, de la multiplicité des regards. «Et de tout ce qui m'intéresse!»

Mais rassurez-vous, elle reviendra à la fiction... «éventuellement. Je crois que Garance a d'autres choses à dire».

Garance qui, à l'instar des artistes de l'ATSA (l'Action terroriste socialement acceptable), ici rebaptisée RASI (Regroupement des artistes socialement inquiets), promène son art dans les rues de la ville, dénonçant les injustices sociales qui la préoccupent par le truchement de performances audacieuses, voire choquantes, éprise de liberté et de justice, est la figure de proue de ce roman qui colle à la réalité de façon troublante, alors que tout le débat sur l'art fait rage.

La nécessité de l'art

Coïncidence? Bien sûr. Francine Noël n'a jamais voulu peindre le tableau d'une époque. Mais encore une fois, l'air du temps souffle entre les pages de son roman. L'auteure, qui a enseigné le théâtre à l'UQAM pendant de nombreuses années, n'a pas hésité à aller manifester dans les rues contre les coupes du gouvernement Harper. C'est peu dire que Francine Noël croit à la nécessité de l'art. Pour sa Garance, comme pour elle-même, l'art est une lumière.

«L'art nous fait du bien, nous aide à vivre, même quand c'est dur, affirme Francine Noël. Les arts visuels, le théâtre, la danse, nous nourrissent. C'est essentiel dans la vie d'un peuple. Ça ne règle peut-être pas les autres problèmes de la société, mais pendant que les gens reçoivent une oeuvre, ils sont en communion, ils sont heureux.»

J'ai l'angoisse légère

Francine Noël

Leméac, 183 pages, 21,95$