Ne serait-ce que pour avoir étudié l'oeuvre à l'école, la majorité des Québécois savent qu'Yves Thériault est l'auteur d'Agaguk. Peut-être aussi, à cause de la filiation, de Tayaout, fils d'Agaguk.

La majorité ignore toutefois qu'Yves Thériault (1915-1983) a écrit 28 autres romans, neuf recueils de contes et nouvelles, 26 romans jeunesse - dont Volpek, le Bob Morane canadien -, 1400 textes pour la radio et une cinquantaine pour la télé. Sans compter d'innombrables «romans à dix sous» publiés sous divers pseudonymes aux Éditions de l'Homme.

 

Dans les faits, Yves Thériault a été le premier écrivain québécois à vivre de sa plume, et ce caractère de pionnier a amené Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ, mieux connues sous l'appellation de Grande Bibliothèque) à consacrer au prolifique auteur «la première exposition littéraire majeure» de sa courte histoire: Yves Thériault - Le pari de l'écriture.

Deux anniversaires concourent par ailleurs à ancrer l'événement dans le temps: le 25e de la mort de l'écrivain (décédé le 20 octobre 1983 à Joliette; il avait passé les dernières années de sa vie à Rawdon) et le 50e de la parution d'Agaguk, publié simultanément à l'Institut littéraire de Québec (ILQ) et chez Grasset, à Paris. Un roman qui, à l'automne de 1958, était en lice pour le prix Goncourt...

«C'est là qu'Yves s'est dit qu'il était écrivain», se souvient Renald Bérubé, ancien professeur de littérature à l'Université du Québec, spécialiste de l'oeuvre «thériausienne» et ami de l'homme, toutes qualités qui en feront le commissaire de l'exposition qui s'ouvre mardi à BAnQ.

Thériault se sentait-il ostracisé par l'establishment littéraire du temps?

«Avec une «huitième année forte», comme il disait - il avait en fait 10 ans de scolarité -, il se sentait un peu démuni par rapport à ses contemporains plus instruits, bien que peu d'écrivains de l'époque aient fait leur cours classique; je pense notamment à Roger Lemelin (auteur des Plouffe et ancien éditeur de La Presse). Malgré ses succès, Yves Thériault devait constamment se répéter qu'il était écrivain; il a conservé ce doute jusqu'à la fin de sa vie.»

Malgré le doute - contrebalancé par cette assurance totale qu'il affichait -, Yves Thériault se démarquera par les sujets abordés, thématiques nouvelles - sexualité exacerbée, place de la femme -, qui ont agrandi d'autant le champ de la littérature canadienne-française, comme elle s'appelait encore dans les années 50. Ainsi les trois grands romans en «A» de Thériault, A comme altérité, qui feront de Thériault le premier romancier québécois des minorités: Aron (1954), l'histoire d'un juif russe d'obédience traditionnelle qui débarque à Montréal, premier sujet juif traité par un Canadien français et «premier livre de Thériault situé en ville», écrit Michel Biron dans le magnifique catalogue de l'exposition (37,95$); Agaguk (1958), «roman esquimau» qui rendra son auteur célèbre et où l'Inuk (l'homme) solitaire doit faire face aux forces déchaînées de la Nature et à la cupidité du Blanc; finalement Ashini (1960), l'histoire d'un Métis montagnais déchiré entre ses cultures. On est loin des romans du terroir...

Vingt éditeurs différents

«Ashini est le plus beau livre que j'aie lu dans ma vie. Un chef-d'oeuvre absolu!» nous disait Victor-Lévy Beaulieu, joint cette semaine à Trois-Pistoles. VLB a commencé à lire Thériault quand celui-ci - vivant de toutes les écritures - tenait un courrier du coeur dans La Patrie: «Pour hommes seulement»... De lettres en rencontres, les deux hommes se sont liés, et VLB est devenu l'éditeur de l'autre, d'abord au Jour de Jacques Hébert, puis chez VLB Éditeur que Beaulieu fondera au début des années 80. Comme d'autres avant lui, lit-on dans ce magnifique essai qu'est Un loup nommé Yves Thériault (Éd. Trois-Pistoles, 1999), il verra un Thériault «désenchanté, amer aux prises avec la nuit du coeur», tout en restant sous le charme du «génie du conteur qui sait faire éclater le quotidien pour le rendre magique». Et le «418» VLB d'ajouter : «Il a été le premier à parler des régions...»

Yves Thériault n'était pas un client commode: il vendait des doubles de ses manuscrits «originaux», signant des contrats avec tout le monde sans les respecter. Toujours à court d'argent, il passera, au cours de sa carrière, pas moins de 20 éditeurs dont neuf en six ans dans les années 60. Il était «de ces natures qui n'acceptent pas de tutelle», a écrit son premier éditeur, Paul Michaud (Institut littéraire du Québec), dans Au temps de l'index - Mémoires d'un éditeur 1949-1961 (Libre Expression, 1996), mémoires où, page après page, suintent amertume et déception, surtout après l'échec français d'Agaguk. Causé, lit-on encore, par les assauts répétés de Thériault sur les employées féminines de Grasset, vite arrivées à l'accord tacite de le «barrer» de la maison.

Yves Thériault n'en recevra pas moins, à terme, la consécration de ses pairs avec le prix Athanase-David de 1979 pour l'ensemble de son oeuvre, ultime pied de nez aux grippe-sous d'éditeurs. Et aux critiques qui lui avaient toujours reproché une certaine facilité. Mais l'écrivain «d'instinct» les avait toujours attendus ailleurs: «On peut bien dire que j'écris mal, mais on ne m'enlèvera pas de l'idée que j'ai quelque chose à dire et je le dis.»

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Yves Thériault - Le pari de l'écriture, à la Grande Bibliothèque jusqu'au 18 janvier 2009.

Visites-conférences avec Renald Bérubé les 24 septembre et 19 novembre. Info : www.banq.qc.ca

Lecture de Marie José Thériault au Festival international de la littérature le 26 septembre à 19h, à l'auditorium de la Grande Bibliothèque.