La littérature jeunesse québécoise met en scène des héros presque tous blancs, qui s’appellent plus souvent Tremblay et Gagnon que Wong ou Khan. Pourtant, dans l’île de Montréal, à peine 27,3 % des élèves inscrits dans les écoles primaires et secondaires publiques sont nés au Québec, comme leurs parents.

La vaste majorité des élèves sont nés à l’étranger (25,7 %), ou c’est le cas de l’un de leurs parents (10,7 %) ou des deux (31 %), selon des données publiées en avril par le Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal.

Reconnaissant « le déséquilibre évident entre ce qui a été publié et la représentativité réelle de la société québécoise », une vingtaine d’éditeurs jeunesse ont signé au début de juillet une lettre où ils affirment vouloir se mobiliser « contre le racisme ».

« Le nombre d’auteurs jeunesse issu de groupes racisés est encore et toujours trop mince, de même que les livres qui offrent un portrait du quotidien dans lequel des enfants autochtones, noirs, asiatiques, arabes ou autres se font trop rares », écrivent les éditeurs jeunesse. « Nous devons agir pour que les choses changent », ajoutent-ils.

C’est Simon de Jocas, président de la maison d’édition Les 400 coups et membre du conseil d’administration de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), qui a lancé cette initiative.

PHOTO FRANÇOIS COUTURE, FOURNIE PAR LES 400 COUPS

Simon de Jocas, président des 400 coups, a mobilisé les éditeurs jeunesse du Québec contre le racisme. « C’est un contrat social, indique-t-il. On est conscients du problème et on va agir. »

On ne peut pas prétendre que les livres jeunesse n’ont pas un impact sur la manière dont les enfants se perçoivent et perçoivent les autres. C’est un moment fondamental dans leur formation. J’en ai pris conscience et j’en ai parlé avec des collègues. Ils avaient tous cette réflexion-là.

Simon de Jocas, président de la maison d’édition Les 400 coups

Réfugiés et misère

Communication jeunesse, un organisme à but non lucratif voué à la promotion de la lecture chez les jeunes, constate « depuis longtemps déjà » la rareté des personnages non blancs. « La diversité est souvent représentée de la manière suivante : un réfugié qui fuit un pays en guerre, un enfant dans la misère et la pauvreté dans son pays d’origine ou un jeune qui vit des problèmes de racisme, énumère Pénélope Jolicœur, directrice générale de Communication jeunesse. C’est globalement très sombre ! Il y a peu ou pas de représentativité positive d’enfants racisés qui vivent une vie normale de tous les jours, qui réalisent leurs rêves, pour qui tout est possible. C’est très problématique. »

Il y a deux ans, Pénélope Jolicœur a vu au cinéma Spider-Man : Dans le spider-verse, avec son fils et l’un de ses amis d’origine haïtienne. Dans ce film, un adolescent à la fois afro-américain et latino devient le nouveau Spider-Man. « Quand le petit bonhomme s’est rendu compte que Spider-Man était noir, il avait les yeux pleins d’eau, se souvient Pénélope Jolicœur. Il se frappait la poitrine fièrement en répétant : “Spider-Man est comme moi !” Après, on ira rabâcher que la représentativité n’est pas importante et que les enfants ne voient pas les couleurs. »

Dur de trouver un livre pour sa fille

Simon de Jocas se rappelle quant à lui une femme rencontrée au Salon du livre de Montréal, il y a quelques années. « Elle m’avait demandé : “Auriez-vous un livre dans lequel l’enfant est noir ? Je ne cherche pas un livre qui se déroule en Afrique, c’est pour ma fille”, précise-t-il. Elle avait adopté un enfant et elle n’arrivait pas à trouver de livres pour elle. »

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Mon frère et moi, texte d’Yves Nadon, illustrations de Jean Claverie, éditions D’Eux

Heureusement, cela change peu à peu. L’émouvant album Mon frère et moi, paru en 2018 aux éditions D’Eux, raconte l’histoire d’un jour d’été au chalet. Un garçon trouve le courage de sauter d’un rocher, comme son grand frère. Les personnages sont noirs, ce qui n’a rien à voir avec les thèmes abordés. Dans l’absurde Mon chien-banane, publié cette année aux 400 coups, les personnages croisés au parc sont aussi de diverses origines. Comme dans la vraie vie.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Mon chien-banane, texte de Roxane Brouillard, illustrations de Giulia Sagramola, éditions Les 400 coups

Un milieu « blanc, très blanc »

Mais il y a un autre problème. « On réalise que notre milieu est blanc, très blanc, constate Véronique Fontaine, directrice générale des éditions Fonfon et signataire de la lettre. C’est malheureux. »

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

C’est Veronic Ly qui illustre les romans La vie compliquée de Léa Olivier, de Catherine Girard-Audet, publiés aux éditions Les Malins.

Parmi les auteurs jeunesse ayant fait les meilleures ventes en 2019, on trouve Catherine Girard-Audet (série Léa Olivier), Geneviève Guilbault (série Ti-Guy La Puck), Caroline Héroux et Charles-Olivier Larouche (série Défense d’entrer !), Élise Gravel (Une patate à vélo) et Catherine Francœur (série Elsie), selon le Bilan Gaspard du marché du livre au Québec. Il faut chercher longtemps pour trouver des créateurs aux origines diverses, comme Veronic Ly (illustratrice des romans Léa Olivier) et Vannara Ty (illustrateur de la série Lucie la mouffette qui pète).

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Vannara Ty illustre la série Lucie la mouffette qui pète, aux éditions La Bagnole.

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) n’a pas de statistiques sur l’origine ethnique ou le lieu de naissance de ses membres. Illustration Québec ne compile pas non plus ces informations. Jean-Philippe Lortie, son coordonnateur, reconnaît toutefois qu’il y a « un faible pourcentage de personnes racisées au sein d’Illustration Québec ».

« Nous travaillons activement pour nous rapprocher des artistes racisés », assure Jean-Philippe Lortier. Un comité éthique a été créé pour conseiller le conseil d’administration, notamment sur la représentativité. Des modifications aux règlements généraux seront aussi proposées aux membres lors de la prochaine assemblée générale d’Illustration Québec, pour que les artistes racisés soient « mieux représentés ».

Rencontre le 12 août

Quant aux éditeurs, ils ont prévu de faire le point lors d’une rencontre le 12 août. « On a besoin de nommer les choses, souligne Véronique Fontaine. La représentativité n’est pas là. Maintenant, qu’est-ce qu’on doit faire pour créer des ponts ? »

PHOTO YAN BLENEY, FOURNIE PAR VÉRONIQUE FONTAINE

« Je regarde mon catalogue et je me dis : “Mon dieu, c’est blanc”, reconnaît Véronique Fontaine, directrice générale des éditions Fonfon. C’est blanc de chez blanc. »

« Il faut se tourner vers les communautés et leur dire : “Comment on fait pour mieux vous intégrer ?, indique Simon de Jocas. Qu’est-ce qu’on n’a pas fait et qu’on aurait dû faire ?” » On veut faire partie de la solution, parce que si on ne fait rien, on fait partie du problème. »

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