Camille Pomerlo a des jumeaux de 5 ans. Un soir, alors que ses fils avaient 2 ans, l’illustratrice essayait de préparer à souper. « Je n’étais pas capable de faire quoi que ce soit, se souvient-elle. J’avais beau essayer de chanter, danser, ça ne distrayait pas mes gars. Les livres, les jouets, rien ne marchait. J’ai ouvert mon téléphone et j’ai mis des comptines pour enfants. Là, ils ont écouté et j’ai pu finir mon souper. »
C’est vite devenu une habitude. « Mes garçons écoutaient la télé chaque fois que je faisais le souper ou que j’avais besoin d’un petit peu de temps toute seule », décrit Camille Pomerlo. Cette réalité lui a inspiré L’enfant allergique aux écrans, publié à La Bagnole, un premier roman graphique fort, dont elle signe les textes en plus des illustrations.
Voir la vie en pixels
On y rencontre Milo, un garçon mis trop jeune – et trop souvent – devant les écrans. Conséquence : un gros pixel apparaît en tout temps dans son champ de vision. Comme il continue de regarder tablette, télé et téléphones, tout ce qu’il voit finit par devenir « pixellisé ».
Troublant, ce roman graphique est sorti le 17 mars – alors que les enfants étaient dans les maisons, souvent devant des écrans, pour prévenir la propagation de la COVID-19. « Depuis qu’on est chez nous, le temps passé devant les écrans par mes fils a doublé ou triplé, dit Camille Pomerlo. C’est la seule manière de pouvoir travailler. Ce livre n’est pas là pour critiquer les parents ou les faire se sentir coupables. C’est juste pour lancer la discussion et se poser la question : qu’est-ce que ça fait de regarder autant d’écrans ? »
Presque tous devant un écran
Au Québec, 96 % des jeunes de 6 à 17 ans utilisaient au moins un appareil électronique à la maison ou ailleurs en 2019, selon l’enquête NETendances 2019 – La famille numérique, du CEFRIO. Près de la moitié (47 %) des garçons faisaient usage de trois appareils ou plus, comparativement à 32 % des filles.
Les appareils électroniques les plus populaires chez les jeunes
Tablette électronique (66 %)
Ordinateur (de table ou portable) (64 %)
Téléphone intelligent (60 %)
Console de jeux (58 %)
Source : Enquête NETendances 2019 – La famille numérique, du CEFRIO
User 204 crayons
Même les artistes contemplent de plus en plus souvent des écrans. Camille Pomerlo fait exception : L’enfant allergique aux écrans a été entièrement dessiné à la main, avec… 204 crayons à l’encre de Chine. « C’est ce que j’aime le plus, dessiner », dit l’illustratrice de Pierrefonds.
Dans sa fable, le personnage de la grand-mère de Milo est une femme aussi directe que colorée. « Déguédine, Milo, qu’on s’en r’tourne finir notre film », dit par exemple Mémé. Elle est inspirée de la vraie grand-mère de Camille Pomerlo. « Elle est très drôle et elle ne se gêne pas pour dire les affaires, résume l’illustratrice. Elle sort des répliques comme : “C’était pas la peine d’aller chez le médecin, j’aurais pu te dire ça moi-même !” »
Cette grand-mère, qui habite en Estrie, n’a pas encore lu L’Enfant allergique aux écrans. « Elle a 81 ans et elle vit avec mon grand-père, décrit Camille Pomerlo. Ils restent vraiment dans leur maison, il y a juste ma mère et mes tantes qui leur apportent de la nourriture. »
« J’allais leur donner des copies, mais on n’a pas pu se voir. On n’a même pas le droit de changer de région… », ajoute Mme Pomerlo
Lauréate d’un prix
Dans ce climat tendu, Camille Pomerlo a eu une bonne nouvelle. Le 26 mars, elle a reçu (virtuellement !) le Prix illustration jeunesse du Salon du livre de Trois-Rivières, catégorie relève, pour ses illustrations de La ville aux dos d’éléphants, publié aux Éditions de l’Isatis.
Camille Pomerlo « réussit un véritable tour de force en illustrant de façon juste et touchante un sujet à la fois dur et aride, soit les mines d’amiante à Thetford Mines, par la variété des plans, le jeu des proportions et le travail de recherche important », a souligné le jury. « C’était vraiment une belle surprise de gagner ça », témoigne l’illustratrice.
Voir d’aussi riches dessins, cela pourrait donner envie aux petits (et grands) de délaisser les écrans pour bricoler. « Je me rappelle, quand on était au primaire, on jouait à plein d’affaires, observe Camille Pomerlo, qui fêtera ses 30 ans l'été prochain. Là, c’est comme s’il y avait juste les téléphones qui étaient le fun… »