Parmi les sorties récentes, voici cinq albums qui ont retenu l'attention de notre chroniqueur André Laroche.

Le bestiaire des fruits

On s'ennuie rarement avec Zviane. Même en réédition, son Bestiaire parvient encore à surprendre et à faire rire. Il faut dire que cette seconde mouture de son fanzine - d'abord publié à compte d'auteur - est en fait un album redessiné, mis à jour et bonifié.

Avec une totale autodérision, elle nous étale son ignorance - et la nôtre du même coup - dans ses explorations gustatives à son épicerie multiethnique.

Non, elle ne s'extasie pas devant tout. Si elle savoure la grenadille, elle redonne une chance au tamarillo selon les enseignements d'un chef d'orchestre (faut lire pour comprendre), elle s'étrangle avec le noyau du litchi (pissant) et se demande comment des génies du marketing peuvent rendre appétissant un fruit en forme de crotte comme le tamarin.

À mi-chemin de la chronique culinaire et du journal personnel, ses exposés désopilants rappellent avec bonheur les Rubrique-à-brac de Gotlib. Ainsi, Zviane peut faire un lien entre le kiwano, Dieu, Moebius et Scattergories... et nous faire crouler de rire.

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Le bestiaire des fruits, Zviane, La Pastèque, 124 pages.

Vois comme ton ombre s'allonge

Les militaires, on le sait, reviennent de la guerre avec des horreurs plein la tête. Ils rapportent parfois aussi dans leurs bagages la culpabilité du survivant. Se pourrait-il que ce choc post-traumatique se transmette aux générations suivantes?

Pour Landi, un écrivain quinquagénaire renommé, ce traumatisme l'atteint par les lettres que son grand-père a écrites à sa femme dans les tranchées italiennes de la Première Guerre mondiale.

Un jour, envoyé en patrouille quasi-suicide dans le no man's land, son aïeul a fait un acte irréparable qui hantera sa famille. Des décennies plus tard, au crépuscule de sa vie - d'où le titre, on imagine -, son petit-fils en portera sur ses épaules toute la tristesse de l'humanité.

Pour imager cet esprit brisé, Gipi multiplie les styles graphiques, passant parfois, dans la même planche, de la simple esquisse au tableau expressionniste. La narration est éclatée, laissant au lecteur la tâche de recoller les morceaux. Un puzzle où s'imbriquent la démence, la barbarie et la poésie.

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Vois comme ton ombre s'allonge, Gipi, Futuropolis, 124 pages.

La collectionneuse

Pascal Girard a vraiment le don de nous mettre tout croche dans notre divan, et tout à l'envers dans notre tête. Dans ce nouveau chapitre de ses névroses, cet antihéros s'intéresse à une collectionneuse de livres et, du coup, il nous balance une autre collection de malaises en tous genres.

En profonde peine d'amour, il délaisse sa planche à dessin pour retourner gagner sa vie comme ferblantier et lire des essais de psycho-pop. C'est dans une librairie qu'il remarque sa belle amatrice de littérature, aussi voleuse à l'étalage.

Et voilà ce formidable mésadapté social aussitôt plongé dans un océan de dilemmes, oscillant entre la séduction et la dénonciation dans un domino de situations désagréables.

Du coup, page après page, on a juste envie de crier: «Ne va pas là, non!» Car ces malaises, on les a tous vécus un jour ou l'autre. Quand Girard se traite de gros cave dans la salle de bains, c'est notre propre reflet que le miroir nous renvoie. Malheureusement.

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La collectionneuse, Pascal Girard, La Pastèque, 112 pages.

Le Guide du mauvais père Tome 02

Avant d'être un bédéiste confirmé, Guy Delisle a d'abord étudié et travaillé en cinéma d'animation. Ça se voit trop bien, et d'une bien mauvaise façon dans ce second Guide.

Ses subversives tranches de vie paternelle - une quinzaine dans ce tome - , il nous les raconte comme des petits bouts de dessins animés. Ses planches se limitent trop souvent à une plate succession d'arrêts sur image quasi identiques.

Zéro gag visuel. L'humour emplit plutôt les phylactères où, avec bonheur, sont transgressées les limites des bonnes moeurs parentales.

Se drapant de son autorité paternelle, Delisle ment, effraie, manipule, voire intimide ses deux enfants bien pensants - parfaits représentants de la bienséance - avec une totale irresponsabilité amorale.

Sans vergogne, il rejette sur eux sa mauvaise foi et ses petites lâchetés. Il leur balance tout haut ce que bien des parents pensent tout bas.

Loin de choquer, ces pieds de nez à la rectitude culpabilisatrice possèdent un effet cathartique: Delisle nous faire vivre nos pensées noires par procuration.

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Le Guide du mauvais père Tome 02, Guy Delisle, Delcourt, 192 pages.

Éclats

Le 10 mai 1940, les armées de Hitler traversent les frontières hollandaises. Devant la défaite imminente, la reine Wilhelmina fuit en Angleterre en laissant ses simples sujets subir les terribles bombardements.

C'est par ces gens ordinaires, en particulier un jeune couple séparé dès les premiers jours de combat, qu'Erik de Graaf relate cette période trouble de son pays.

Les anciens amoureux se retrouvent après la guerre sur la tombe d'un ami. Ensemble, ils remontent le temps. Une histoire classique: elle, juive, vite partie sans laisser de traces. Lui, le réserviste démobilisé, qui ressent l'appel de la résistance. Mais des zones d'ombre demeurent. Qui était véritablement cet ami?

La réponse se trouve sans doute dans la suite de ce diptyque. Jusqu'à présent, le récit d'Erik de Graaf n'apporte rien de bien original. Pire, son dessin de style atome beaucoup trop graphique transmet mal l'émotion des personnages. Et la narration brisée, souvent agaçante, ne suffit pas à donner du souffle à une histoire pourtant dramatique. Dommage.

* * 1/2

Éclats, Erik de Graaf, La Pastèque, 264 pages.