Ce n'est pas un nouveau « Harry Potter ». Mais ces Contes de Beedle le barde, dont c'est aujourd'hui a sortie mondiale, sont incontestablement « du » J.K. Rowling : le style de la romancière se reconnaît immédiatement dans ces cinq courtes histoires (le livre, publié en français chez Gallimard, ne compte que 128 pages) qui s'adressent d'abord aux plus jeunes, comme les premiers tomes de la célèbre série.

Officiellement écrits par Beedle le barde - d'une certaine manière, l'équivalent pour les jeunes sorcier de Perrault pour les enfants moldus - et traduits des runes originales par Hermione Granger, ces cinq histoires (Le sorcier et la marmite sauteuse, La fontaine de la bonne fortune, Le sorcier au coeur velu, Babbity Lapina et la souche qui gloussait, Le conte des trois frères) sont accompagnés d'illustrations de J.K. Rowling (meilleure auteure que dessinatrice) et de commentaires du professeur Dumbledore. Dans le dernier volume de la série, Harry Potter et les reliques de la mort, Hermione, à qui le vénérable directeur de Poudlard a légué son exemplaire de ces contes classiques du monde des sorciers, lisait d'ailleurs l'un des récits, Le conte des trois frères, à Harry et Ron. Le texte, assez sombre, leur donnait des indices pouvant les aider dans leur ultime combat contre Voldemort.

Puisqu'à cela servent les contes. À passer des messages sans en avoir l'air. Mais des traducteurs et conteurs zélés, dérangés par leur contenu subversif ou incapable de voir au-delà du premier degré de lecture, les ont adoucis - et détournés - au fil des âges. Il en va ainsi des contes de fées pour Moldus. Il en va aussi ainsi pour les contes de sorciers... pour sorciers.

D'où la pertinence, dans ce contexte, des fameuses notes de Dumbledore : après chaque conte, il commente et apporte son éclairage historique et humain (enfin, sorcier!) sur le contenu distillé entre des lignes à première vue inoffensives. Sans toutefois dire tout ce qu'il sait, comprendront ceux qui ont lu le dernier « Harry Potter » devant ses commentaires (auto-censurés?) sur Le conte des trois frères.

Mais il est amusant de voir sa manière de remettre les pendules à l'heure dans le cas du Sorcier et la marmite sauteuse, dont la morale pro-Moldus de la version originale a déplu aux sorciers qui ne portent pas les non-sorciers dans leur coeur et a été « remaniée » par la bien-pensante Beatrix Bloxam. Et fascinant de voir ses conclusions concernant Le sorcier au coeur velu , le plus noir et sanglant des contes du recueil - un parent proche de Barbe-Bleue mêlé à Roméo et Juliette.

Bref, on reconnaît là, derrière Beedle le barde, derrière Hermione la traductrice, derrière Dumbledore le sage, derrière ces histoires assez simples dont la palette de couleur va du gentil rose bonbon au lourd rouge sang, la manière J.K. Rowling : l'écrivain peut donner dans la dentelle quand dentelle il faut; elle peut aussi sortir les mauvais sorts et les pertes douloureuses lorsque nécessaire.

Ce qui impose une conclusion et suscite un tas d'espoir : sans avoir le potentiel - ni la prétention, d'ailleurs - de réécrire l'histoire du livre jeunesse comme l'ont fait les sept tomes de « Harry Potter », Les contes de Beedle le barde (dont tous les profits iront à la Children's High Level Group, une association cofondée par l'auteure pour venir en aide aux enfants maltraités) prouve que J.K. Rowling a encore beaucoup à dire sur l'univers qu'elle a créé et qu'elle devrait continuer à aller y pêcher des histoires. Même indirectement liées au destin de Harry, elles pourraient permettre de fabuleux voyages au pays des sorciers.